Afrique - Le 19e Sommet franco-africain
Le 19e sommet franco-africain s’est tenu à Ouagadougou, au Burkina Faso, du 4 au 6 décembre 1996. C’est la première fois que ce pays d’Afrique de l’Ouest a l’occasion d’accueillir une réunion de chefs d’État d’une telle ampleur. Jamais, en effet, un sommet franco-africain, ou de la francophonie, ou de l’OUA, n’avait choisi de se tenir dans la capitale du « pays des hommes intègres ».
Ce 19e sommet a en tout cas été caractérisé par une participation record, puisque étaient présents 26 chefs d’État, 1 vice-président, 4 Premiers ministres, en plus des chefs de délégation de 14 autres pays. Traditionnellement, ces sommets, qui existent depuis 1973, avaient plutôt été consacrés à la réunion des chefs d’État des pays africains ayant des relations privilégiées avec la France, pour la plupart francophones. De 15 à 20 participants, ils ont été élargis dans les années 80 à plus d’une trentaine de participants, mais les invitations sont longtemps restées sélectives. Cette fois, les Burkinabés, en accord avec la France, ont souhaité inviter tous les pays du continent, à l’exception de la Libye et du Soudan ainsi que de la Somalie.
Tous les pays invités n’ont pas répondu favorablement. On a ainsi noté l’absence d’États importants comme l’Algérie ou le Kenya. Il reste que la forte participation à ce 19e sommet témoigne de l’intérêt que les pays du continent portent au rôle de la France en Afrique, et, malgré tout, de l’utilité politique de tels exercices, pourtant parfois controversés.
Autre nouveauté : alors que précédemment ces sommets franco-africains restaient non officiels jusque dans leur ordre du jour, le Burkina Faso a souhaité que soit formellement inscrit à l’ordre du jour un thème d’intérêt général, en l’occurrence celui de la « bonne gouvernance », concept largement issu des analyses élaborées sur les pays du Sud dans les grandes institutions financières internationales, et qui concerne en fait les efforts que ceux-ci doivent faire pour développer une gestion saine des affaires publiques. Sur la base d’un document de travail présenté aux chefs d’État et de trois interventions en séance (par le président burkinabé Blaise Compaoré sur la décentralisation, par le président français Jacques Chirac sur l’aide au développement, et par le président botswanais Quett Ketumile Masire sur la démocratisation), les discussions de Ouagadougou ont abouti à une déclaration finale rappelant les points suivants : le développement économique doit s’inscrire dans une vision de long terme, il doit viser à l’instauration d’un ordre social juste et reposer sur un État de droit ; pour cela, les efforts doivent être poursuivis dans les domaines de la fonction publique, de la justice, de la liberté de la presse, de la consolidation des institutions démocratiques, de la promotion du secteur privé ; la sécurité et la paix restent des conditions essentielles du développement et les efforts concernant la prévention des crises et le règlement des conflits doivent également être renforcés ; pour le développement économique et pour la sécurité, les participants insistent sur l’importance des aides apportées par les partenaires du Nord et demandent que cette aide soit poursuivie.
Enfin, dans une annexe à cette déclaration finale, les participants évoquent le problème des mines antipersonnel, dont la dissémination et les effets ravageurs affectent une vingtaine de pays africains. Ils demandent la conclusion « d’un accord international juridiquement contraignant et vérifiable sur l’interdiction totale et générale des mines antipersonnel ». Les opérations de déminage, dont plusieurs sont en cours en Afrique, en particulier avec l’appui de la France en Angola et au Mozambique, sont fort onéreuses : enlever une mine coûte 100 fois plus cher que la fabriquer et la poser. Or, pour situer l’ampleur du problème, il faut rappeler qu’on ne dénombre pas moins de 12 millions de mines en Angola, 3 millions au Mozambique, autant au Soudan, 1 million en Éthiopie et en Érythrée…
En dehors de cet ordre du jour officiel, plusieurs autres dossiers importants ont été abordés dans les différentes réunions, entre les chefs d’État. Entre francophones, il a ainsi été discuté de l’avenir de la zone franc et des relations futures entre le franc CFA et l’euro : sujet tabou depuis longtemps, il apparaît que toutes les garanties ont été données aux pays africains de la zone franc pour que le passage à l’euro n’ait aucune incidence négative sur leur monnaie. De plus, ces assurances étant données, tout le monde envisage désormais avec sérénité que s’ouvre un débat sur l’évolution à terme des systèmes monétaires africains, et sur de nouveaux liens éventuels entre une zone franc rénovée et une monnaie européenne.
A également été abordé, et ce débat avait été lancé lors du précédent sommet franco-africain à Biarritz en novembre 1994, le projet de création d’une force interafricaine. Malgré la pression de l’actualité et les controverses nées de la récente initiative américaine, le schéma discuté et développé depuis Biarritz continue de faire l’objet de réflexions et d’études. Il s’agirait de former au maintien de la paix et d’équiper des unités des armées nationales africaines intéressées, et de mettre en place un dispositif d’appui avec l’aide des pays du Nord pour que ces unités puissent agir en temps de crise sous l’égide de l’Onu et de l’OUA. C’est cette perspective que le président de la République française, Jacques Chirac, a confirmée dans ses déclarations. C’est aussi celle qu’a définie le général Gnassingbe Eyadéma, président du Togo, qui avait été chargé à Biarritz d’une étude sur ce projet et qui en a présenté les conclusions à Ouagadougou. De son côté, le président ivoirien Henri Konan Bédié, sans contredire cette ligne, a rappelé l’existence de l’accord de non-agression et d’assistance en ce qui concerne la défense qui lie les pays francophones d’Afrique de l’Ouest : « La mise sur pied de l’Anad entre plusieurs États francophones d’Afrique de l’Ouest a joué un rôle bénéfique, puisqu’elle a évité un conflit entre le Burkina Faso et le Mali. Notre coopération pourrait décider d’une réactivation et d’un élargissement de l’Anad », a-t-il déclaré au cours d’une réunion à huis clos entre chefs d’État francophones.
Ces dossiers et débats de fonds n’ont bien sûr pas pu être épuisés à l’occasion d’un sommet dont la durée était limitée ; d’autant plus que trois sujets d’actualité ont occupé une bonne partie du temps des discussions entre responsables français et africains.
D’abord la situation dramatique issue des mutineries en série en Centrafrique. Sur ce point, le sommet de Ouagadougou a permis la mise sur pied de la médiation des présidents burkinabé Blaise Compaoré, gabonais Omar Bongo, tchadien Idriss Déby et malien Alpha Konaré, qui se sont rendus à Bangui dès la fin du sommet et sont parvenus à obtenir une trêve et l’ouverture de pourparlers politiques.
Ensuite, la succession de Boutros Boutros-Ghali au secrétariat général de l’Onu, sur laquelle on a pu constater une certaine confusion politique et des rivalités entre Africains. C’est à Ouagadougou que le jeu des candidatures multiples africaines a été lancé (à l’initiative de Paul Biya, président camerounais et président en exercice de l’OUA, qui, finalement, dans ce contexte de confusion, a préféré s’abstenir de participer au sommet).
Enfin, la crise des grands lacs, qui a été l’objet de discussions aussi longues que vives. Les chefs d’État constatant leur impuissance à agir efficacement et rapidement ont, malgré tout, non sans difficultés, élaboré une déclaration, rappelant une fois de plus la nécessité de tenir une conférence internationale sur la paix, la sécurité et la stabilité dans la région des grands lacs, sous l’égide de l’Onu et de l’OUA. Le sommet de Ouagadougou n’ayant pu obtenir sur cette crise des résultats concrets, il apparaît que ce dossier constituera un défi majeur pour le nouveau secrétaire général des Nations unies, le Ghanéen Koffi Annan, élu au début de décembre 1996, et premier Africain noir à occuper ce poste prestigieux. ♦