Afrique - La déroute des forces armées zaïroises
Fin février 1997, six mois après les premiers accrochages entre l’armée zaïroise et les opposants armés Banyamulenge, des Tutsis d’origine rwandaise installés au Zaïre, toutes les informations et témoignages concordaient sur l’incapacité des forces armées zaïroises (FAZ) à stopper l’avance de leurs adversaires. Ces derniers, regroupés au sein de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Zaïre, coordonnée par Laurent-Désiré Kabila, occupaient alors, selon les observateurs, environ 20 % de l’immense territoire et s’approchaient de Kisangani (ex-Stanleyville).
Dès le mois de novembre 1996, soit quelques semaines après les premiers combats, les opposants armés contrôlaient les villes de Goma et de Bukavu. Face à ces défaites des FAZ, et surtout en raison des centaines de milliers de réfugiés menacés par ces affrontements, le Conseil de sécurité des Nations unies autorisait le déploiement d’une force multinationale, projet activement soutenu par la France. Cependant, l’annonce du retour dans leur pays de près d’un demi-million de réfugiés rwandais conduisait la majorité des pays engagés dans ce projet d’intervention, États-Unis en tête, à y renoncer, laissant seules sur le front les forces armées zaïroises.
Le 18 décembre 1996, le général Eluki Monga Aundu, chef d’état-major des FAZ, qui peu auparavant accusait le gouvernement de « n’avoir rien fait pour donner à l’armée les moyens nécessaires pour faire la guerre », est limogé et remplacé par le général Mahele Lioko, 57 ans, qui avait suivi les cours de l’École de guerre française entre 1982 et 1983, avait déjà occupé les fonctions de chef d’état-major, et s’était distingué lors des opérations militaires menées par Mobutu après l’indépendance et lors de l’insurrection de 1984 menée, déjà, par Kabila. Le nouveau chef d’état-major devait dans l’urgence redresser les FAZ et organiser la contre-offensive et la reconquête des territoires perdus. Il s’agissait là d’un véritable défi compte tenu du passif des FAZ et de l’état de délabrement du pays.
Première difficulté : un environnement politique instable, un régime fort peu légitime et incapable d’exercer un quelconque contrôle véritable sur le pays. Les effets ravageurs du « système Mobutu », la dislocation du pouvoir depuis la conférence nationale, l’absence depuis de longs mois de Mobutu, malade d’un cancer et soigné en Suisse, rendaient impossible l’exercice d’une autorité de l’État, nécessaire au redressement des armées.
Deuxième difficulté : le mécontentement généralisé accumulé depuis des années dans le pays, des élites aux classes les plus modestes, aggravé par une forte et même brutale résurgence des rivalités régionales et tribales. Sur cette base, il paraissait difficile de reconstituer un minimum de cohésion et de soutien national et populaire, également nécessaire à une large mobilisation du pays en temps de guerre.
Troisième difficulté : l’état des FAZ elles-mêmes. Celles-ci, nombreuses en effectifs et dotées depuis les années 60 de quantités notables de matériels, ont d’abord toujours souffert d’une politique de purges, d’élimination de nombreux cadres, d’un bouleversement permanent de son commandement par le maréchal Mobutu, toujours méfiant vis-à-vis de son armée. Elles ont ensuite fonctionné sur la base d’un système de division, le chef d’état-major n’ayant pas autorité sur les unités d’élite de la division spéciale présidentielle (10 000 hommes, entraînés longtemps par des officiers israéliens), ni sur la garde civile, ni sur le service d’action et de renseignement militaire. De plus, elles ont dans leur immense majorité (à l’exception des unités d’élite ethniquement proches du président) été laissées matériellement à l’abandon, et pas ou fort peu payées. À deux reprises, en 1991 et 1993, des milliers de militaires se sont mutinés pour ces raisons, et se sont livrés dans le pays aux pillages, aux destructions et aux meurtres les plus épouvantables. Depuis les premiers combats contre les troupes de Kabila en septembre 1996, les unités engagées ne se sont pratiquement jamais battues, multipliant les désertions et les pillages des régions traversées. Difficile dans ce contexte de réussir dans l’urgence une politique de redressement, même si le nouveau chef d’état-major nommé en décembre est doté d’importants pouvoirs, y compris sur les unités d’élite.
À cela, il faut ajouter qu’une bonne partie des armements et équipements lourds accumulés depuis les années 60 ne sont plus opérationnels faute d’entretien, d’encadrement et de fournitures extérieures suspendues depuis le début des années 90 par les principaux pays fournisseurs des FAZ, et que dans leur débâcle les troupes ont abandonné (ou vendu) à l’ennemi des quantités notables d’armes et de munitions.
Pendant l’époque de la guerre froide et de la rivalité Est-Ouest, le maréchal Mobutu était considéré par les pays occidentaux comme un allié fidèle, toujours disponible face aux ambitions des Soviétiques et de leurs alliés. Une coopération militaire importante s’était développée entre le Zaïre et la France, les États-Unis, la Belgique. Plusieurs autres pays, l’Égypte, la Corée du Nord, la Chine, l’ex-RFA, le Maroc, Israël, l’Italie, etc. avaient également notablement soutenu Kinshasa dans le domaine militaire. À plusieurs reprises, notamment en 1977, 1978 et 1984, des interventions militaires ont été effectuées par les alliés occidentaux du Zaïre, avec la participation de pays africains, pour assurer sa sécurité face à des agressions extérieures. En contrepartie de cette aide importante, le Zaïre a toujours manifesté un appui diplomatique systématique au camp occidental et accordé à ses alliés toutes les facilités militaires demandées. Mieux même, à plusieurs reprises, en 1979 en Centrafrique, en 1981 au Tchad, en 1986 au Togo ou en 1991 au Rwanda, il a répondu favorablement aux demandes de soutien militaire de ces pays. En 1991, à la suite des émeutes, une opération franco-belge organisait l’évacuation des ressortissants étrangers, et Paris rapatriait aussitôt ses soldats pour montrer son refus de cautionner le régime. Depuis, la quasi-totalité des pays occidentaux ont suspendu leur coopération militaire et leurs fournitures d’armements.
Au cours de ces derniers mois, pour préparer sa contre-offensive, le Zaïre a tenté de battre le rappel de ses « amis ». Ni les pays occidentaux, ni l’Égypte, ni le Maroc, ni Israël, n’ont répondu favorablement à cet appel. Seule la Chine a accepté d’envoyer en janvier dernier son chef d’état-major, le général Fu Quanyou, pour assurer Mobutu de son soutien.
Mesurant l’ampleur des difficultés à redresser les FAZ dans l’urgence et sans pratiquement aucune aide extérieure significative, les autorités zaïroises ont recruté quelques centaines de mercenaires et mobilisé à leurs côtés des éléments hutus de l’ex-armée rwandaise, ainsi que les milices hutues repliées dans les camps de réfugiés. L’état-major a tenté, sans grand succès, de lancer une vaste opération de recrutement de jeunes âgés de 15 à 18 ans. Il a essayé de restructurer les services de renseignement et la justice militaire, et de réprimer les « éléments fuyards ou pillards ». Avec l’aide des mercenaires, des opérations aériennes avec des appareils Aermacchi et des hélicoptères Mi 24 ont été lancées pour créer un effet psychologique destiné à compenser les défaillances de la contre-offensive ; mais ces opérations ont surtout permis de mesurer l’étendue des difficultés logistiques. Le 25 février, alors que la presse révélait le ralliement de neuf officiers supérieurs des FAZ à la rébellion, ceux-ci confirmant que des centaines d’autres militaires zaïrois rejoignaient les troupes de Kabila, les efforts diplomatiques pour chercher une solution politique à ce conflit se sont intensifiés. Il y a fort à parier que malgré leur discours déterminé en faveur de la reconquête, les FAZ auront du mal à retrouver un minimum de crédibilité militaire. ♦