Défense dans le monde - L'Otan et l'Europe
La rénovation de l’Otan, comme nous l’évoquions dans une précédente chronique, se poursuit sur les trois thèmes classiques : réorganisation du commandement, établissement de passerelles avec l’UEO, ouverture aux pays d’Europe centrale. L’évolution interne s’est accélérée, notamment dans les institutions, au point de modifier fondamentalement la physionomie de l’Organisation.
Bientôt trois Conseils
Le règne sans partage du Conseil de l’Atlantique Nord touche probablement à sa fin. Celui-ci devra désormais tenir compte de l’activité de deux autres Conseils qui ne lui céderont pas en importance politique.
Le Conseil du partenariat atlantique (Atlantic Partnership Council) a été évoqué pour la première fois par M. Christopher, secrétaire d’État américain, le 6 septembre 1996 à Stuttgart. Ouvert aux pays participant au Partenariat pour la paix (PPP) et destiné à remplacer le Conseil de coopération nord-atlantique fondé en 1991, il devrait constituer un organe de dialogue politique. Il est également conçu pour devenir l’institution dont le Partenariat a besoin pour piloter les nouvelles modalités de coopération militaire qu’il offrira aux pays qui ne rentreront pas dans l’Otan. La Russie, réticente jusqu’ici à s’engager dans le mécanisme du PPP, devrait siéger à ce Conseil, ce qui en renforcera l’aspect politique.
Le communiqué publié à l’issue des entretiens Eltsine-Clinton à Helsinki (21 mars 1997) annonçait la création d’un Conseil Otan-Russie. Il offrirait une structure de concertation politique sur la sécurité européenne et devrait permettre la gestion conjointe des crises qui apparaîtraient sur le continent européen. Du fait de sa composition, il pourrait permettre à une Russie adoptant une approche extensive de la sécurité d’y faire évoquer des dossiers franchement politiques.
La coexistence de ces trois Conseils va poser plus de questions qu’elle n’apportera de réponses. Au-delà de la répartition des compétences entre ceux-ci, qui restera une difficulté formelle, trois conséquences paraissent s’imposer.
Le développement de la dimension politique de l’Otan est avéré. La fin de la guerre froide a fortement réduit son intérêt militaire. Les États-Unis paraissent décidés à l’utiliser pour contrôler les évolutions sur le continent européen. La limite traditionnelle des attributions entre l’Alliance atlantique et l’OSCE pourrait en souffrir.
Le rôle majeur de la Russie dans la sécurité du continent est entériné. Membre des deux nouveaux Conseils, elle devient ainsi un acteur interne de l’Otan qui, dans des cas non négligeables, disposera d’un droit de codécision. Il faudra en mesurer les conséquences sur les évolutions de la sécurité de l’Europe médiane.
Il est probable que les États-Unis ne pourront pas assumer la totalité des nombreuses conséquences impliquées par l’existence concomitante de ces trois Conseils, surtout si Washington continue à entretenir de fructueuses relations bilatérales, particulièrement avec Moscou. Des occasions favorables s’ouvrent ainsi aux Européens. L’Union européenne, voire l’UEO, régénérées par la conférence intergouvernementale (CIG), pourront constituer des forums intéressants où les Européens seraient en mesure de se consulter sur la conduite à adopter dans ces trois organismes.
La disparition du statut unique
Depuis 1949, l’Otan ne comptait que la catégorie de membre de plein droit. Les décisions d’élargissement et, plus encore le Partenariat pour la paix, rapprochent de l’Alliance la perspective d’une diversification des statuts. Cette évolution va à l’encontre des souhaits de celle-ci qui, pour préserver sa cohérence, voulait éviter de multiplier les types de relations avec les États.
À partir de juillet 1997, certains candidats actuels deviendront futurs membres. Certes, le laps de temps pendant lequel ce statut durera sera limité, mais il justifiera naturellement des évolutions du fonctionnement de l’Otan. Les candidats non retenus à Madrid bénéficieront de certains avantages politiques et militaires, à titre de compensation, qui les constitueront en catégorie particulière.
Le Partenariat pour la paix, après avoir été renforcé lors du Conseil des ministres de Cintra, offrira à ses bénéficiaires des occasions de dialogue politique et de coopération militaire qui entraîneront l’apparition d’un statut à part dans l’Alliance. Cette diversité sera accrue par la situation particulière de l’Ukraine qui aura passé avec l’Otan un accord spécifique offrant à Kiev des moyens de concertation politique et militaire avec Bruxelles.
D’autres évolutions devraient déboucher sur des statuts particuliers. Le « partenariat méditerranéen » ouvrira, en théorie, à certains pays d’Afrique du Nord et saharienne et du Proche-Orient la possibilité d’entretenir des relations suivies avec l’Alliance. Il n’est pas jusqu’au Conseil de partenariat atlantique qui pourrait permettre d’agrandir encore l’ère géographique de référence de l’Alliance atlantique. Les termes mêmes des présentations de ce Conseil par certaines autorités américaines ne permettent pas d’écarter absolument l’hypothèse de relations régulières avec des pays comme le Japon, candidat depuis Williamsburg en 1981 à un rapport particulier avec l’Otan, la Corée du Sud, l’Australie ou la Nouvelle-Zélande, voire le Brésil.
La modularité dans le fonctionnement de l’Alliance ira de pair avec cette diversification. Un nombre aussi élevé de statuts engendrera mécaniquement un besoin de format variable. Sans quitter le giron de l’Alliance, des groupes officieux et temporaires pourraient ainsi se constituer autour d’un programme, d’un mandat ou d’un ordre du jour. C’est, peut-être, le prix à payer par l’Alliance pour se poser durablement comme l’organisation de sécurité de référence des pays développés. En contrepartie, l’introduction de nombreux forums, la multiplicité d’occasions de dialogue et la parité des membres pourraient gêner l’Otan dans son fonctionnement, notamment comme organisation militaire, et rendre la prise de décision plus difficile ; la réactivité de l’Alliance pourrait en souffrir.
Certes, tous ces travaux se dérouleront sur fond de compétence réservée pour le Conseil de l’Atlantique Nord : il sera toujours possible, entend-on, de revenir à seize pour prendre les décisions importantes. Néanmoins, alors que précisément cette diversification est justifiée par l’occasion de multiplier les possibilités de dialogue politique, sera-t-il envisageable, au nom de l’efficacité politique, de revenir à un organisme réduit pour éviter les conséquences de l’ouverture du dialogue ?
La montée de la régionalisation
L’Otan classique « tirait » un front homogène du cercle polaire au Caucase. La pérennité de ce schéma pourrait être remise en cause.
Bien sûr, pour obtenir une meilleure adaptation entre les moyens disponibles et les objectifs politico-militaires, l’Alliance est en train de recentraliser son dispositif en ramenant de trois à deux ses commandements régionaux mais, dans le même temps, elle doit tenir compte des particularismes régionaux et accepter les conséquences institutionnelles d’une extension géographique au Sud et au Sud-Est.
Dans une Europe qui essaie d’établir la région comme échelon intermédiaire entre le niveau local et la centralisation communautaire, il était difficile à l’Otan d’échapper à l’établissement de cohérences régionales. Le Partenariat pour la paix a été le premier à réfléchir à des formules de régionalisation qui apporteraient à ses membres des services de proximité politiques et militaires plus adaptés aux besoins qu’ils ressentent. Le Caucase, les Balkans, l’Europe centrale sont des zones où cette régionalisation a quelque chance de s’organiser. La Baltique, notamment les États baltes, sont une autre région qui va justifier des constructions spéciales. Il convient, en effet, d’offrir aux États baltes, avec l’appui souhaitable des Scandinaves, quelques compensations à leur inclusion dans la deuxième vague d’élargissement de l’Otan. La France, par la voix de son ministre des Affaires étrangères, a récemment proposé la rédaction d’une charte baltique qui poursuivrait un objectif similaire.
Parallèlement aux efforts propres de l’Otan, ses membres ou ses voisins sont engagés dans des initiatives régionales qui ne resteront pas sans conséquences sur le fonctionnement de l’Alliance. Le désarmement en ex-Yougoslavie et l’avenir international commun des trois pays concernés par les combats (Croatie, Bosnie, Serbie) créent une situation qu’il conviendra d’adapter.
La SECI (Southeastern European Cooperative Initiative), proposée par Washington aux Européens, produira une structure de coopération qui poussera ses membres à se concerter plus directement et plus fréquemment que s’ils ne s’étaient rencontrés qu’à l’Otan.
Ces réalités politiques et institutionnelles auront des répercussions sur le fonctionnement de l’Alliance qui devra s’organiser pour conserver un contrôle global sur ses initiatives centrifuges. Il est probable que les nouveaux Conseils de l’Otan seront mieux adaptés que le vénérable Conseil de l’Atlantique Nord. En somme, l’Organisation sortira diversifiée et profondément rénovée. Sera-t-elle pour autant mieux adaptée aux enjeux du continent européen ? La réponse appartient en partie aux membres européens de l’Alliance.
Mai 1997