Afrique - Réexamen de la politique militaire française en Afrique ?
Depuis le début de cette année 1997, la France est clairement à la recherche d’une nouvelle politique africaine. À Paris, on se montre particulièrement préoccupé par les aspects politico-militaires de la présence française sur le continent. Plusieurs facteurs ont récemment amplifié cette préoccupation, et en particulier l’évolution de la crise zaïroise. La France avait préconisé, dès 1996, la mise sur pied d’une intervention multilatérale humanitaire et l’organisation sous l’égide de l’Onu d’une conférence internationale sur la paix et la stabilité dans la région des grands lacs. Elle s’est par ailleurs accrochée à l’idée que le chef de l’État zaïrois, le président Mobutu Sese Seko, apparaissait malgré tout comme le seul interlocuteur valable pour garantir l’unité du pays et qu’il restait en tout état de cause un élément central et obligatoire de tout processus de paix ou de transition.
La forte opposition américaine à ces propositions, l’indifférence des partenaires européens de la France, la détermination des pays africains hostiles à la ligne française et à Mobutu, en particulier les plus actifs comme l’Ouganda et le Rwanda, rejoints par d’autres comme la Tanzanie ou l’Angola, de plus en plus impliqués dans la crise zaïroise, ont placé la France dans une position difficile. L’affaiblissement rapide de Mobutu Sese Seko, la débâcle des forces armées zaïroises, dont les capacités semblent bien avoir été largement surestimées par Paris qui s’attendait à ce que l’avancée des rebelles de Laurent-Désiré Kabila soit plus longue et plus difficile, ont notablement aggravé les effets négatifs sur la crédibilité de la politique française. Cette crise zaïroise aura constitué un sérieux facteur de déstabilisation de la politique africaine traditionnelle de la France, dont les leçons essentielles restent à tirer.
Parallèlement, la crise centrafricaine est venue aussi donner la mesure des difficultés de la France dans un pays du continent lié à Paris par des accords de défense et de coopération militaire privilégiés et dans lequel sont installées des bases permanentes avec un effectif d’environ 1 200 soldats français. Impliquée contre son gré dans un processus interne de rébellion contre un régime, certes élu, mais qui a fait la preuve de son manque de crédibilité et de fiabilité, la France a été amenée à y augmenter ses effectifs à 1 900 hommes, dont 1 100 combattants, jusqu’au 20 février 1997, pour y remplir des fonctions de maintien de l’ordre et de soutien politique au régime qu’elle n’avait pas forcément à assurer. Il a fallu, pour tenter de sortir de ce guêpier, que le président Jacques Chirac mobilise, lors du sommet de Ouagadougou, ses partenaires africains afin de mettre en place une mission interafricaine de surveillance des accords de Bangui (Misab) composée de quelques centaines de militaires tchadiens, gabonais, burkinabés, sénégalais et togolais. Soulagé par le déploiement de cette force, on notait au ministère français de la Défense : « Pour la première fois une force interafricaine indépendante, francophone, soutenue logistiquement par la France, vient en aide à un pays frère pour l’aider à résoudre ses problèmes… Nous allons dans la direction d’une prise en mains par les Africains de leurs affaires ».
Un mois plus tard, le 20 mars 1997, un exercice militaire trilatéral entre le Bénin, le Togo et la France, avec une participation burkinabé, était organisé sur les territoires des deux premiers. À l’occasion de ces manœuvres baptisées « Nangbeto 97 », dans lesquelles plus de 4 000 hommes étaient engagés, le général Jean-Philippe Douin, chef d’état-major des armées françaises, a eu l’occasion d’expliciter quelles étaient les nouvelles perspectives prioritaires pour la France concernant la sécurité en Afrique. Parlant devant des observateurs américains, de l’Union de l’Europe occidentale, et africains anglophones du Nigeria et du Ghana, il a expliqué qu’à terme « notre but, c’est que plusieurs pays africains se retrouvent ensemble, sans nous », même s’il estime qu’il y a « du travail pour quelques années » avant que les armées africaines ne soient véritablement opérationnelles. « Il faut en priorité renforcer les capacités africaines de maintien de la paix », a précisé le général Douin, afin que les Africains soient en mesure de contribuer plus largement au concept de « modules de forces en attente » défini par les Nations unies.
« On peut imaginer, a-t-il poursuivi, différentes étapes dans ce processus : détermination des pays voulant participer, formation des unités et de leurs cadres, ce qui supposerait une aide financière et matérielle des pays donateurs, enfin organisation d’exercices et mise au point d’une planification logistique ». En mettant ainsi en avant ce projet, baptisé à Paris « capacité africaine de réponse aux crises », les autorités politiques et militaires françaises s’efforcent de mettre sur pied une solution adaptée au processus de redéploiement du dispositif militaire français en Afrique engagé au cours de ces derniers mois.
De fait, pour des raisons d’austérité budgétaire de plus en plus contraignantes, en raison aussi des effets prévisibles de la grande restructuration de la politique française de défense et de la réforme des forces armées entreprises par Jacques Chirac depuis 1996, des réajustements notables de la présence militaire française sur le continent africain vont immanquablement se produire. Un réexamen en profondeur de cette présence a été effectué, qui concerne cinq points essentiels.
1 - Les bases et installations permanentes au Sénégal, en Côte d’Ivoire, au Gabon et en Centrafrique, auxquelles s’ajoute le dispositif Épervier au Tchad, qui devront être réorganisés pour réaliser les plus grandes économies possible.
2 - Le cas particulier de la présence à Djibouti, qui dépasse le cadre stratégique proprement africain et concerne plus largement l’océan Indien et le Golfe.
3 - Les forces prépositionnées (environ 8 200 hommes), dont les effectifs devront être revus à la baisse et dont les fonctions devront être redéfinies.
4 - Les accords de défense en vigueur, qui lient la France à une dizaine de pays africains depuis les années 60 et dont certains aspects sont aujourd’hui totalement obsolètes.
5 - Enfin, la politique de coopération militaire menée par la mission militaire de coopération du ministère de la Coopération, lui-même en cours de réorganisation. Son premier volet, l’assistance militaire technique (625 conseillers dans 22 pays africains plus le Cambodge en 1997), devra se dégager des postes de responsabilité directe dans les armées africaines, et se concentrer sur l’amélioration du fonctionnement des états-majors africains et des services des armées ainsi que l’appui technique dans des tâches spécialisées comme la santé ou l’entretien des matériels. L’AMT devra montrer davantage de synergie avec les forces prépositionnées, notamment pour soutenir le développement des capacités africaines de réponse aux crises. Le deuxième volet, la formation, sera prioritairement axé sur les forces de sécurité intérieure, visant à la stabilité des institutions démocratiques, en sachant que les capacités d’accueil dans les écoles françaises auront tendance à se réduire, et qu’il faudra accentuer le développement des filières de formation locales. Enfin, le troisième volet, l’aide en matériels, sera orienté à la fois vers la mise en place d’écoles de formation et la prolongation de la durée de vie des équipements.
On ne peut pas dire qu’il y ait actuellement du côté français une volonté politique de désengagement politico-militaire vis-à-vis de l’Afrique, mais pour des raisons structurelles et budgétaires, un impératif de rationalisation du dispositif militaire français est en train de s’imposer. La conjoncture en Afrique, avec les exemples du Zaïre et de la Centrafrique, démontre que la marge de manœuvre de la France sur le continent, dans le domaine militaire, devient plus étroite et qu’il est nécessaire d’en tirer les conséquences. ♦