Actions internationales - La Mission d'observation des Nations unies au Tadjikistan (Monut)
Cette opération de maintien de la paix a commencé au Tadjikistan en décembre 1994. En effet, conséquence de la désintégration de l’URSS, à l’exemple du conflit géorgien, cette nouvelle république a été confrontée à une lutte pour le pouvoir entre une opposition rassemblée autour des islamistes et les néocommunistes soutenus en particulier par la Russie. Celle-ci a appliqué sa conception des opérations de maintien de la paix, loin de toute neutralité. L’objectif est de servir ses intérêts, en l’occurrence garder le Tadjikistan dans sa zone d’influence. Néanmoins, la participation de l’Onu a été demandée pour légitimer cette intervention.
La république du Tadjikistan, ancienne république fédérée d’URSS, est située en Asie centrale. Elle est bordée par l’Ouzbékistan et le Kirghizistan à l’ouest et au nord, par la Chine à l’est et par l’Afghanistan au sud. Sa population, encore largement rurale, est composée majoritairement de Tadjiks, musulmans sunnites. Les minorités les plus nombreuses sont celle des Ouzbeks, 25 % des 5,5 millions d’habitants, et celle des Russes. Le Tadjikistan a proclamé sa souveraineté en juin 1990 et son indépendance le 9 septembre 1991. Il appartient à la Communauté des États indépendants (CEI). Enfin, il est devenu un membre des Nations unies le 2 mars 1992.
Très tôt, des tensions sont apparues entre la majorité tadjike et les minorités ouzbèke et russe, entre anciens communistes ou néocommunistes et les islamistes du Mouvement de la renaissance islamique du Tadjikistan. En mai 1992, après deux mois de troubles, l’opposition s’empare du pouvoir dont les chassent les forces gouvernementales néocommunistes. L’opposition islamique se réfugie en Afghanistan dont la zone frontalière est depuis celle des combats. Cette guerre a fait, selon les estimations, entre 20 000 et 50 000 victimes, et elle a entraîné le déplacement de 900 000 personnes.
En parallèle du conflit, de multiples tentatives de paix ont été entreprises. En septembre 1992, l’Onu est saisie par l’Ouzbékistan qui demande l’envoi d’une mission sur place. Le président du Tadjikistan, quant à lui, demande une mission de bons offices. Face à la détérioration de la situation à la frontière afghane en avril 1993, un envoyé spécial du secrétaire général est désigné pour obtenir un cessez-le-feu, aider à trouver une solution politique, enfin rechercher la participation régionale de tous les pays concernés.
La recherche de la solution est en effet d’abord régionale en raison de l’implication de la Russie. Des affrontements armés ont eu lieu entre les gardes-frontières russes sur la frontière sud du Tadjikistan et les forces islamistes s’infiltrant d’Afghanistan. Une force de maintien de la paix de la CEI est finalement mise en place avec des troupes russes, kazakhes, kirghizes et ouzbèkes à partir du 24 septembre 1993. Son mandat est d’assister le processus de normalisation à la frontière, d’aider à la distribution de l’aide humanitaire ou au retour des réfugiés, d’assurer la garde des infrastructures. Compte tenu des contingents qui constituent la force, son manque de neutralité constatée par l’Onu est rapidement dénoncé par l’opposition tadjike.
Cependant, en mars 1994, cette dernière accepte de discuter avec Moscou, où les premières négociations commencent le 5 avril sous l’égide des Nations unies, en présence d’observateurs d’Ouzbékistan, d’Iran, du Pakistan, du Kirghizistan et d’Afghanistan. Trois domaines sont abordés : le règlement politique du conflit, le retour des réfugiés, l’organisation institutionnelle et la reconstruction du pays. De nouvelles négociations s’engagent à Téhéran du 18 au 28 juin avec la CSCE dans le domaine spécifique du cessez-le-feu. Les principes de celui-ci sont acceptés, mais aucun accord n’est signé. Ils constituent cependant la base des discussions à venir. Ils prévoient en effet l’arrêt des actions militaires, l’interdiction des actes de terrorisme, des prises d’otages et des agressions contre la population civile ; ils interdisent l’utilisation de médias ou de toute forme de communication qui pourraient remettre en cause le processus. Enfin, l’appel à la religion ou à l’idéologie à des fins hostiles est proscrit.
En juillet 1994, le gouvernement néocommuniste programme pour septembre un référendum sur une nouvelle Constitution et sur l’élection d’un nouveau président sans tenir compte ni des discussions de Téhéran, ni de la participation de l’opposition. Les combats reprennent et le projet est finalement reporté. Le 17 septembre 1994, un accord est signé à Téhéran pour un cessez-le-feu et l’arrêt des hostilités. Cet accord reprend le concept du cessez-le-feu des discussions de juin. Il est maintenu pendant la durée des pourparlers qui auront lieu à Islamabad du 20 octobre au 1er novembre 1994. Un nouvel observateur, l’OCI, se joint aux pourparlers. Les deux camps acceptent un règlement politique de leurs différends, ce qui est salué par le Conseil de sécurité. Celui-ci décide de déployer une mission de fonctionnaires des Nations unies. Des élections sont prévues pour février 1995 et, pour faciliter la réconciliation nationale, des mesures de confiance sont décidées, comme l’autorisation des partis politiques. Le 14 novembre 1994, une commission mixte assistée par les observateurs militaires de l’Onu tient sa première réunion à Douchanbé, capitale du Tadjikistan.
Conséquence logique, la résolution 968 du 16 décembre 1994 crée la Monut pour un coût annuel estimé à huit millions de dollars. Les trente-trois personnels, dont vingt-deux observateurs militaires, sont autrichiens, bangladeshis, danois, hongrois, jordaniens et uruguayens. Son mandat s’appuie sur le respect de l’accord de Téhéran, la recherche de la réconciliation nationale et le développement de la démocratie. Elle doit enquêter sur les ruptures du cessez-le-feu et communiquer ses conclusions à la commission mixte et aux Nations unies. Elle est déployée dans plusieurs bureaux dans le pays. Tout en travaillant avec la CEI, sa mission est distincte. Elle assure en particulier les liens avec l’opposition. Le 6 novembre 1995, les autorités afghanes ont donné leur accord à l’établissement d’un poste de liaison radio avec le commandement de l’opposition dans le nord de l’Afghanistan. Enfin, elle coordonne l’aide humanitaire.
À la demande du président du Tadjikistan, il est proposé à l’opposition de reporter les élections du 26 février 1995 afin de lui permettre d’y participer et d’en accepter les résultats. Devant son refus, les élections ont lieu, avec 91,7 % de votants selon le gouvernement. Pour reprendre les négociations, l’opposition demande comme condition préliminaire un engagement des forces de la CEI ; celles-ci devront adapter leur mandat aux conditions posées par l’accord de Téhéran. Le 26 avril 1995, la Fédération de Russie accepte et déclare que « les forces russes déployées le long de la frontière et le personnel militaire russe des forces collectives de maintien de la paix de la Communauté des États indépendants stationnées au Tadjikistan, respectant les accords entre les parties tadjikes et en reconnaissant la validité, n’y porteront pas atteinte dans l’exercice de leurs fonctions ». Grâce à l’intervention de l’envoyé spécial, les négociations se déroulent du 22 mai au 1er juin 1995 pour aborder les évolutions institutionnelles. Pour la première fois, des discussions sérieuses ont lieu : échange de prisonniers, retour des réfugiés, autorisation d’accès donnée au CICR.
La réforme des institutions est lancée sous l’égide de l’envoyé spécial pour finalement parvenir à un protocole d’accord national le 17 août 1995. Commençant ses travaux le 30 novembre 1995, la commission permanente de négociations se tient à Ashkhadad (Turkménistan). Le 13 décembre 1995, les deux délégations acceptent une déclaration commune sur l’intégration des forces d’opposition dans les forces armées et sur la participation de l’opposition au gouvernement.
Les négociations ne progressant pas, les hostilités reprennent en janvier 1996. Le 24 février, l’enlèvement du coprésident de la commission mixte, qui appartient à l’opposition, crée une crise grave. Une offensive de l’opposition tadjike est lancée dans la région de Tavildara en mai, coûtant la vie à des civils et à des soldats de la CEI. La Monut est entravée dans ses mouvements. Un cessez-le-feu est signé et fige les positions le 19 juillet. Des pourparlers s’engagent à nouveau à Téhéran du 6 au 19 janvier 1997 malgré la persistance des tensions sur le terrain. Le personnel international, qu’il soit civil ou militaire (les observateurs militaires ne sont pas armés), est pris en otage. Les activités de la Monut sont suspendues. Elle est déployée en Ouzbékistan à compter de février 1997. Le mandat est cependant préservé jusqu’au 15 juin à condition que les parties respectent les accords.
L’action diplomatique de l’Onu comme intermédiaire a été importante et relativement efficace. Son volet humanitaire a été un succès en ce qui concerne le rapatriement des réfugiés par le HCR. Enfin, malgré la constatation qu’aucune des parties ne jouait le jeu, le mandat de la Monut a été régulièrement prolongé. L’Onu participe donc au règlement de ce conflit alors que la Russie, sous son couvert, continue de mener une politique traditionnelle d’influence. La conception russe du maintien de la paix n’est pas conforme aux principes de l’Onu. À ce titre, le soutien de celle-ci à une telle opération devrait être reconsidéré. ♦