À propos de l'histoire tumultueuse du rattachement de l'Alsace à la France de Louis XIV à la Seconde Guerre mondiale.
L'Alsace, Marche de l'Est
Vous n’avez plus rien à craindre de l’avenir, disaient les Allemands à leurs « frères d’Alsace », lorsqu’ils occupèrent leur pays en 1941 ; désormais, l’Alsace ne sera plus province frontière, cette situation dangereuse a pris fin ; la frontière sera beaucoup plus à l’ouest, elle englobera les Flandres, la Bourgogne et la Franche-Comté. Et, en effet, des documents cités récemment au procès de Nuremberg révèlent que dans la pensée de Hitler, le tracé de la frontière occidentale du Reich partait de l’embouchure de la Somme, suivait la limite nord du bassin parisien et de la Champagne jusqu’à l’Argonne, s’infléchissait ensuite vers le sud, traversait la Bourgogne et englobait la Franche-Comté pour rejoindre le lac de Genève.
Aujourd’hui, la situation est renversée. C’est actuellement la France qui déborde sur l’Allemagne. Cela ne veut pas dire qu’elle ait l’intention d’annexer Bade et le Wurtemberg, mais, si elle parvient à y exercer une salutaire influence, elle aura l’approbation de toutes les nations démocratiques. Elle a sur le Neckar et le Danube, plus loin encore, une œuvre féconde à accomplir, mais par d’autres moyens que ceux dont les Allemands se servaient à notre égard et dans un tout autre but. Et, pour cette pénétration bienfaisante, notre Marche de l’Est sera sans doute appelée à exercer une action que sa situation géographique et toute son histoire semblent d’avance déterminer.
Quiconque a vécu quelque temps en Alsace, a pu se rendre compte du rayonnement que peut exercer une province si riche matériellement et spirituellement, et qui a toujours fait preuve d’une très grande vitalité. Quand on l’a parcourue du nord au sud, de Wissembourg à Thann, quand on a vu de près ses villages pittoresques et ses cités industrieuses, traversé ses vignobles, gravi les pentes des Vosges, dominé la plaine fertile qui descend vers le Rhin, on est conquis par l’attrait de l’Alsace. Il a souvent été rappelé, mais c’est la description sobre et précise que Vidal de la Blache donne de cette région au premier volume de l’Histoire de France de Lavisse, qui fait comprendre combien le rôle historique de l’Alsace en Europe est lié à sa situation géographique : « Ce fut et c’est pour le Nord de l’Europe une des routes des pays d’outremont, comme aussi la voie par excellence de la Bourgogne et de la Provence. L’Ouest y trouve, de son côté, l’accès du Danube ou, par les passages de Hesse et de Thuringe, celui de la Basse-Allemagne. Les rapports se croisent dans ce carrefour vraiment européen ». Un large souffle de vie générale court dans cette vallée dont le centre est devenu Strasbourg « la ville des routes ». Mais aussi l’air y apparaît plus clair et plus lumineux que de l’autre côté du Rhin. Goethe en avait déjà fait la remarque quand il vint en Alsace. Vidal de la Blache souligne et explique ce privilège : « Au tournant des Vosges méridionales, les vents pluvieux du sud-ouest se sont déchargés de leur fardeau de vapeurs ; ils sont descendants, c’est-à-dire plus secs. En fait, il ne tombe à Colmar que la moitié de la hauteur moyenne des pluies que l’on constate à Fribourg en Brisgau… Les rayons d’un soleil généreux activent la végétation et en prolongent la durée. L’apparition des feuilles est de quinze jours en avance sur l’Allemagne et, en automne, de belles journées chaudes achèvent de faire mûrir les vins capiteux des coteaux sous-vosgiens… L’homme a prospéré aussi, il a profité de cette clémence accueillante de la nature. La clarté du ciel et la douceur de vivre ont mis en lui de la gaieté. « Le naturel de ce peuple est la joie », écrivait le premier intendant français qui gouverna l’Alsace. C’est un épanouissement joyeux dans une nature qui invite à la fécondité et en donne l’exemple. »
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