Gendarmerie - La Gendarmerie et la prévention de la délinquance juvénile
Si les statistiques de la délinquance et de la criminalité pour 1996 ont confirmé la baisse enregistrée l’année précédente (- 6,47 % en 1995 et - 2,88 % en 1996) (1), l’examen attentif de ces chiffres apparemment encourageants n’en révèle pas moins certaines sources d’inquiétude. Ainsi le nombre d’infractions et d’actes de violence commis par des mineurs s’est accru régulièrement ces dernières années (+ 13,9 % en 1996), notamment dans les quartiers difficiles et les établissements scolaires, de sorte que, à l’heure actuelle, près d’une personne sur cinq mises en cause pour des faits de délinquance est âgée de moins de 18 ans. Il s’agit là d’un phénomène particulièrement préoccupant, ne serait-ce qu’au regard des risques manifestes de récidives et d’accroissement de la gravité des méfaits perpétrés qui, du fait d’une logique intraitable qualifiée souvent de spirale de la délinquance, peut conduire le jeune délinquant primaire, coupable d’avoir chapardé des cassettes vidéo dans un supermarché, à rejoindre, quelques années plus tard, une bande de voleurs de voitures ou de cambrioleurs, voire à sombrer, après ou non un passage dans l’univers carcéral, dans la violence et la criminalité.
Confrontée, notamment dans les zones périurbaines, à cette poussée de la délinquance juvénile, la gendarmerie s’est engagée depuis le début de l’année dans une action volontariste de prévention, qui s’est traduite par la création d’une nouvelle forme d’unités spécialisées : les brigades de prévention de la délinquance juvénile (BPDJ). Les statistiques des crimes et délits constatés par les unités de gendarmerie mettent, il est vrai, en évidence une hausse de près de 50 %, ces quatre dernières années, du nombre de mineurs mis en cause pour des faits de délinquance :
Mis en cause |
1993 |
1994 |
1995 |
1996 |
Mineurs |
32 573 |
38 689 |
41 912 |
46 622 |
Mineures |
2 715 |
2 914 |
3 391 |
3 896 |
Total |
35 288 |
41 603 |
45 303 |
50 518 |
Autre élément hautement significatif, cette délinquance, qui concerne d’ailleurs des adolescents de plus en plus jeunes, tend à devenir dans le même temps de plus en plus violente, aussi bien à l’encontre des biens que des personnes :
Motifs de mise en cause des mineurs |
1993 |
1994 |
1995 |
1996 |
Crimes et délits contre les personnes |
3 464 |
4 208 |
4 851 |
5 826 |
Vols avec violence |
651 |
813 |
1 070 |
1 303 |
Total |
4 115 |
5 021 |
5 921 |
7 129 |
Sans pour autant remettre en cause la primauté de l’action préventive et répressive menée quotidiennement en ce domaine par ses 3 640 brigades implantées sur l’ensemble du territoire, la gendarmerie a décidé de constituer, dans une logique de renfort et de complémentarité, des unités destinées à conduire, dans les zones périurbaines difficiles, des actions de prévention en relation avec les autres organismes ou services chargés de l’enfance (magistrats, associations, enseignants, services publics sanitaires et d’action sociale…). Composées de six sous-officiers d’active (dont deux gradés), parmi lesquels au moins un formateur relais antidrogue (Frad), ces brigades de prévention de la délinquance juvénile, au nombre de dix, sont implantées dans les circonscriptions de gendarmerie particulièrement concernées par le phénomène de la délinquance juvénile (Lyon, Toulouse, Strasbourg, Rennes, Aix-en-Provence, Douai, Liévin, Cergy-Pontoise, Versailles et Le Havre). Directement subordonnée au commandant de groupement de gendarmerie départementale, la BPDJ a pour missions principales d’instaurer un contact régulier avec les mineurs délinquants, prédélinquants ou en difficulté, de prendre une part active aux campagnes de prévention et de protection organisées au bénéfice des adolescents, et de participer à l’analyse des évolutions des différentes formes de délinquance des mineurs dans le département. Dans cette perspective, les personnels de ces unités peuvent être amenés, sur la base du volontariat, à apporter leur contribution personnelle au fonctionnement et à l’animation d’associations, de clubs sportifs, ainsi qu’à l’organisation localement d’activités au bénéfice des mineurs en difficulté.
Bien qu’intervenant en relation étroite avec les autres unités de terrain de la gendarmerie (brigades territoriales, unités de recherche…), ces BPDJ présentent malgré tout, compte tenu de la finalité résolument préventive de leur action, un certain nombre de traits spécifiques.
Elles ne sont composées que de sous-officiers volontaires ayant fait l’objet d’une sélection privilégiant certaines aptitudes comme le sens du contact et de la communication avec les jeunes, la maîtrise des règles et pratiques de police judiciaire, l’expérience dans le domaine de l’action associative pour la protection de la jeunesse… Ces personnels suivent, avant leur affectation, une période de deux semaines de stage (2), au cours duquel, grâce à des séminaires assurés par des sociologues, des psychologues, des éducateurs et des responsables des services publics intervenant en ce domaine (éducation nationale, protection judiciaire de la jeunesse, justice, DDASS…), sont abordés les principaux aspects de la délinquance juvénile et des menaces sur la jeunesse (suicides, fugues, abus sexuels, maltraitance…), en relation avec les phénomènes plus généraux de délabrement de l’environnement urbain (banlieues, quartiers difficiles), de chômage, d’exclusion, de toxicomanie et d’alcoolisme, de violence scolaire.
Même si, s’agissant des affaires mettant en cause des enfants victimes et des mineurs délinquants, les BPDJ peuvent effectuer des actes de police judiciaire en cas de flagrant délit et fournir une assistance technique aux autres unités, la priorité de leur action doit demeurer, en toute hypothèse, la prévention. Ainsi, concernant les procédures, les infractions éventuellement constatées par la BPDJ seront enregistrées et comptabilisées par la brigade de gendarmerie territorialement compétente. Dans le même ordre d’idées, ces unités ne devront pas, en dehors de circonstances exceptionnelles, être détournées de leur mission principale afin de participer, par exemple, à des transfèrements et à des extractions judiciaires, au fonctionnement des centres opérationnels de la gendarmerie (COG) ou encore à la constitution de pelotons de gendarmerie de réserve ministérielle (formations de gendarmerie départementale qui, en cas de nécessité, sont mises en place temporairement, grâce à des personnels prélevés dans diverses unités, pour participer à des opérations de maintien et de rétablissement de l’ordre).
Les BPDJ sont organisées selon des règles relativement souples, en ce qui concerne notamment les documents de service (ne seront détenus que ceux strictement nécessaires, à savoir un cahier de service, un dossier de synthèse et un registre des procédures), les horaires de travail (qui seront adaptés aux conditions d’exercice des missions de prévention, en particulier aux rythmes de vie et aux activités des adolescents) et les équipements des locaux de service (dont le mobilier et la décoration devront permettre l’accueil des mineurs dans des conditions satisfaisantes). De même, afin de bien souligner vis-à-vis de la population le caractère particulier de ces unités, ces locaux ne seront pas signalés par un panneau de gendarmerie traditionnel. Sans renoncer à leurs prérogatives, à leurs valeurs professionnelles ou encore à leur uniforme de gendarme, soldat de la loi et de l’ordre, la plus grande difficulté, le principal défi pour les personnels de la BPDJ sont d’apparaître, aux yeux de leurs interlocuteurs privilégiés, les jeunes, comme des acteurs de la sécurité, disponibles et crédibles, bienveillants et efficaces, capables d’écouter et de comprendre, de conseiller et d’aider, comme des éducateurs en képi, ouverts et respectés, proches et attentifs, auxquels il est possible de faire confiance et de se confier.
Dans l’état actuel des choses, et même si ces nouvelles unités peuvent assurément bénéficier de l’expérience acquise par les quelque 300 formateurs relais antidrogue déjà sur le terrain depuis plusieurs années, il paraît pour le moins prématuré de dresser le moindre bilan de ce dispositif sans équivalent de prévention de la délinquance juvénile. En effet, les BPDJ sont encore en phase d’expérimentation, de sorte que leurs règles d’organisation et leurs principes d’action vont être modelés au gré des retours d’expériences, des enseignements et des réflexions tirés de l’action sur le terrain de ces nouveaux « hussards de la république ». Au-delà de cette nécessaire étape d’évaluation, il est possible d’observer que, au regard de l’importance de la tâche, ce nouveau dispositif suppose, afin de parvenir à des résultats à la hauteur de l’enjeu, une montée en puissance qui devrait conduire logiquement, dans les années à venir, à la multiplication, sur l’ensemble du territoire, de ces brigades de prévention de la délinquance juvénile. ♦
(1) « La gendarmerie et la lutte contre la délinquance : bilan 1996 » ; Défense Nationale, chronique « Gendarmerie », juin 1997.
(2) Le premier stage de ce type a été organisé du 22 septembre au 3 octobre 1997 au Centre national de formation de la police judiciaire (CNFPJ) de la gendarmerie de Fontainebleau.