L’art de la guerre par l’exemple, stratèges et batailles
Voici un livre bien commode : 29 stratèges et 38 batailles en 350 pages. De Sun Tse à Kissinger (à ce dernier, on aurait préféré notre Lucien Poirier), de Kadesh à la guerre du Kippour, le panorama est vaste. Le professeur de relations internationales, discipline bien moderne, pense à ses étudiants.
L’auteur partage les hommes illustres entre théoriciens, stratèges et tacticiens ; mais les plus grands, Sun Tse, Louis XI, Frédéric II, Guibert, Clausewitz, Mao Tsé-toung, sont plus politiques que stratèges. Certains sont les précurseurs fâcheux des horreurs de notre siècle, Hassan ibn Saba, alias « Vieux de la Montagne », pour l’assassinat politique, T.E. Lawrence pour la guérilla, Mao Tsé-toung encore pour la guerre révolutionnaire, redoutable à ses ennemis comme à son malheureux peuple. Aussi bien Frédéric Encel, qui sait de quoi il parle, se garde, en son avant-propos, de définir et borner la stratégie, tâche impossible.
Qu’il s’agisse de stratèges ou de stratégie, des hommes ou de leurs batailles, leur exposition indiscrète fait apparaître la pauvreté des principes de la guerre comme des manœuvres par lesquelles, dit-on, le général emporte la victoire. De cette indigence et bien qu’il exécute proprement notre Foch, il n’est pas sûr que l’auteur soit conscient. Son titre laisse entendre que la guerre, comme la grammaire, s’enseigne par l’exemple. Question : pourquoi les armées, en dépit de l’usage de l’arme à feu et jusqu’à Napoléon lui-même, se sont-elles livrées à ces affrontements de soldats rangés comme quilles, boucheries organisées dont « l’ordre serré » de nos troupes perpétue le souvenir ? Réponse : l’honneur, Monsieur. Rien de plus caractéristique à cet égard que l’indignation du grand Frédéric, tenant pour « imputation injurieuse » que Guibert, dans son Essai général de tactique, ait fait de Rossbach le triomphe de l’intelligence manœuvrière. « On ne manœuvra pas, répond-il, dans ce jour ; (...) l’armée prussienne défila par sa gauche, se reforma vis-à-vis de l’ennemi et la bravoure décida de la victoire ».
Prolongeons cette réflexion en observant deux moments clés de l’évolution de la guerre en Europe, qui montrent qu’en la matière, rien ne saurait être réduit à la simple raison. Premier moment, que jalonnent Crécy (1346), Poitiers (1356), Azincourt (1415), Pavie (1525) : il a fallu quatre défaites sanglantes et près de deux siècles pour que la chevalerie française, devant les besogneux de la bataille, fantassins ou artilleurs, se déprenne de ses belles façons. Le second moment est de plus grande conséquence politique. À la charnière du XVIIIe et du XIXe siècles, qu’éclairent les Lumières, Guibert, Clausewitz et Jomini méditent. Les écrits des deux premiers sont ambigus, l’auteur eût dû mieux le rappeler, et montrer que Guibert fut à la fin plus clair que Clausewitz. Mort en 1790, avant que la nation armée n’eût dévoilé ses monstrueux effets, Guibert, en une méritoire volte-face, s’en est alarmé. Clausewitz fut moins net, d’où résultera que le prestige du pontife couvrira, à tort sans doute, les massacreurs. Point d’hésitation, en revanche, chez l’honorable Jomini, chantre constant de la guerre mesurée.
On jugera que cette digression nous a éloignés du livre de Frédéric Encel. C’est le mérite de l’auteur de nous entraîner au-delà de son objet. ♦