Les archives inédites de la politique algérienne, 1958-1962
Le général Maurice Faivre est vice-président de la Commission française d’histoire militaire. Spécialiste de la guerre d’Algérie, il a consacré deux livres, en tout ou partie, au drame de nos harkis (1). Nul, parlant désormais de l’Algérie, ne pourra ignorer l’ouvrage que voici. En juillet 1992, les archives de la guerre ont été largement ouvertes et, pour celles qui ne l’étaient pas, Maurice Faivre a obtenu les dérogations nécessaires. Ainsi, 170 pages du livre sont-elles constituées de documents retranscrits. Ils proviennent de quatre sources : Comité des affaires algériennes ; Affaires étrangères ; Délégation générale en Algérie et, pour 1962, Exécutif provisoire ; Ministère des armées et états-majors. En une première partie, essentielle, l’auteur fait l’analyse de cette documentation.
1958-1962 : la période est bien circonscrite, où s’exercera l’autorité du général de Gaulle. Ce n’est pas insulter la mémoire de celui-ci que de souligner, comme le fait le livre, ses hésitations et les ambiguïtés de sa politique. Le partage des responsabilités entre civils et militaires en est le reflet. À l’arrivée du Général aux affaires, les militaires ont, par le biais des comités de salut public, tout en mains. Le grand mouvement d’enthousiasme fraternel, né le 13 mai 1958, balaie rancœurs et incompréhensions ; l’armée prend en charge le pays entier, une action psychologique dûment étudiée est mise en œuvre, et Jean Lacouture, dans Le Monde du 13 septembre, pouvait écrire : « Ce que l’armée est en train de faire ressemble à un travail révolutionnaire ». Dès le mois d’octobre, cependant, les officiers sont retirés des comités et la grande flambée retombe. Le putsch de 1961, dernier feu, consommera le retrait total des militaires de la scène politique. Ambiguïtés, disions-nous. Pourtant, le discours du 16 septembre 1959 eût dû dissiper les illusions. Le scepticisme du Général, déjà là exprimé, s’accentuera en 1960, jetant dans le désarroi ceux qui ne voulaient toujours pas y croire, et d’abord le Premier ministre, Michel Debré.
Le chapitre consacré aux négociations du gouvernement français avec le FLN est l’un des plus passionnants. Le lecteur découvre qu’elles débutèrent dès 1956 pour ne plus cesser, conduites avec la discrétion qui convenait. C’est sur les accords d’Évian et leurs suites déplorables que l’on s’interroge. Les négociateurs français ont-ils été bernés, ne pouvaient-ils prévoir que leurs interlocuteurs ne respecteraient pas leur signature ? À cette question, Maurice Faivre apporte quelques éléments de réponse. Si la bonne foi de Krim Belkacem paraît à l’auteur assurée, l’accord sera aussitôt dénoncé par Ben Bella. L’horreur suivra. Eût-on pu l’atténuer ? Ce que Maurice Faivre rapporte des circonstances du désastre renforce l’affliction, mais n’établit pas nettement les responsabilités, tant civiles que militaires. C’est heureux : conclure, en quelque sens que ce soit, serait indécent.
Les opérations militaires, enfin, ne sont sans doute pas le chapitre dont on attend le plus de révélations. Deux commentaires, pourtant, retiendront l’attention : sur la stratégie, couronnée d’un plein succès, menée par le général Challe ; sur la bataille d’Alger, où l’encart de la page 158 est précieux au moment où Le Monde vient d’ouvrir, dans son numéro du 20 juin, l’affaire Lila.
Il faut se réjouir de voir offertes au grand public les archives de la guerre d’Algérie. Comme l’auteur le souligne dans une belle conclusion, il n’est plus possible, désormais, de mentir sans que les esprits honnêtes décèlent le mensonge. La formation des jeunes gens ne peut que s’en bien trouver. En Algérie d’abord, où les manuels scolaires sont des instruments de propagande ; aussi en France où, n’en déplaise à M. Bouteflika, nos universitaires sont, dans le débat, plus proches des thèses du FLN que de celles des nostalgiques de l’Algérie française. On regrettera pourtant que soient accessibles des documents que la dignité de la fonction présidentielle eût commandé de détruire. Il s’agit des notes manuscrites prises par le secrétaire général du gouvernement, Roger Belin, au cours des séances du Comité des affaires algériennes, de septembre 1961 à novembre 1962. Écrits dans l’urgence et donc dans un style télégraphique, se trouvent ainsi rapportés, d’une façon inconvenante et contre laquelle Maurice Faivre met lui-même le lecteur en garde, des propos abrupts dont on sait qu’ils sont dans la manière du Général, mais qui rapetissent singulièrement le personnage. On nous permettra de ne pas mêler notre voix au concert de ceux, nombreux aujourd’hui, que ce rapetissement ravit. ♦
(1) Un Village de harkis, L’Harmattan, 1994 ; et Les Combattants musulmans de la guerre d’Algérie, même éditeur, 1995. Voir Défense Nationale, mars 1995 et février 1996.