In Memoriam - Le général Paul Ely
Le général d’armée Paul Ely s’est éteint le 16 janvier dernier. Avec lui disparaît un homme de devoir, qui tout au long de sa vie a mis son intelligence, son courage, sa volonté, sa générosité au service de la France.
Des jugements divers ont été portés sur lui, basés parfois sur des apparences, et pas toujours exacts. En fait, il était un homme très simple et en même temps très exceptionnel, et comme ce sont là deux caractéristiques qui sont rarement associées, elles sont difficilement croyables.
Son ascétisme, sa frugalité étaient innés. Il n’aimait pas l’ostentation, l’environnement dans lequel il se trouvait lui était indifférent, il n’était ni modeste ni orgueilleux, il prenait les autres tels qu’ils étaient et ne parlait jamais de lui-même. Il avait un esprit élevé, droit et pur, une vie intérieure profonde, et s’il mesurait mieux que quiconque les tumultes de l’âme humaine et les jugeait avec indulgence, il appréciait l’inexprimable qui se dégage du recueillement d’un cloître ou de la prière d’une foule.
Son intelligence, nourrie par la méditation, étayée par une rare puissance de concentration, lui permettait d’embrasser un problème dans son ensemble et d’en distinguer toutes les facettes : il percevait les parties immergées de l’iceberg. Grâce à quoi, l’heure venue du conseil à donner ou de la décision à prendre, il s’exprimait avec assurance et fermeté.
Mais si, grâce à son intelligence, il avait une claire vision des choses, c’est par son courage et sa volonté qu’il entrait dans le domaine de l’action.
C’est le courage qui l’a engagé dans la carrière des armes, qui l’a amené à accepter les missions les plus périlleuses et les plus ingrates, que ce soit dans la Résistance ou plus tard en Indochine, et l’on oublie trop souvent que lorsqu’il y assuma le commandement suprême, civil et militaire, Dien Bien Phu était perdu mais les accords de Genève n’étaient pas signés et nul ne pouvait prévoir l’évolution de la situation.
C’est sa volonté qui lui a permis de résister à la fatigue, à la maladie, de dominer les événements et les hommes, de pousser toujours plus avant sa recherche constante de la solution des problèmes, de lutter pour ce qu’il croyait, de persuader, d’entraîner l’adhésion, n’ayant en vue que l’honneur de l’Armée et le bien de la France.
Enfin, sa générosité, sa bonté foncière constituaient l’aspect merveilleusement humain de son caractère. Sa sollicitude pour ses subordonnés, pour les cadres et la troupe, était constante. Il avait horreur des sanctions, même lorsque la faute était patente. Il était sensible aux joies et aux peines des autres et exprimait alors ses sentiments avec autant de distinction que de cœur.
Madame Ely avait beaucoup souffert en déportation dans les camps de concentration nazis ; il confiait un jour à un de ses collaborateurs qu’il s’était promis depuis lors de ne jamais lui causer la moindre contrariété, même la plus légère — preuve de délicatesse de pensée, mais aussi d’amour particulièrement émouvante.
Après avoir quitté le service actif en 1961, il publia trois ouvrages dont deux sont d’un intérêt historique certain : « L’Indochine dans la tourmente » et « Suez… le 13 mai » aux éditions Plon ; l’autre, le premier, fruit de longues réflexions pendant les dix dernières années de sa carrière, paru aux éditions Fayard en 1961 sous le titre « L’Armée dans la Nation », est tout à fait d’actualité. Il en termine l’avant-propos ainsi :
« Je dédie ces pages à l’Armée française. J’ai vécu avec elle de dures épreuves. Mais elle m’a apporté partout et toujours, dans les bons et les mauvais moments, les satisfactions les plus belles, les plus nobles, les plus pures que peut espérer un soldat, un chef, un homme. Qu’elle trouve ici les remerciements que, du fond du cœur, je lui adresse au terme de ma carrière. »
Mais si sa gratitude allait à l’Armée, sa sollicitude inquiète était tournée vers l’avenir, et voici son message :
« À tous les jeunes, dont les épaules sont à l’avance si lourdement chargées mais qui portent en même temps notre espoir, je livre l’admirable traduction du poème de Kipling que fit un jour Maurois, pour qu’ils le méditent et le vivent :
Si tu sais méditer, observer et connaître
Sans jamais devenir sceptique ou destructeur,
Rêver, mais sans laisser ton rêve être ton maître,
Penser, sans n’être qu’un penseur,
Si tu peux être dur sans jamais être en rage,
Si tu peux être brave et jamais imprudent,
Si tu sais être bon, si tu sais être sage
Sans être moral ni pédant,
Si tu peux rencontrer Triomphe après Défaite
Et recevoir ces deux menteurs d’un même front,
Si tu peux conserver ton courage et ta tête
Quand les autres la perdront,
Alors les Rois, les Dieux, la Chance et la Victoire
Seront à tout jamais tes esclaves soumis,
Et ce qui vaut bien mieux que les Rois et la Gloire :
Tu seras un homme, mon fils.
Ce message, lancé à l’avenir, il l’a vécu : Paul Ely était un homme. ♦