Le siècle des héros
Le général Bigeard reste un témoin privilégié du XXe siècle. Avec la fougue, la passion et le franc-parler qu’on lui connaît, il retrace à sa façon l’histoire du siècle trépidant qui vient de s’écouler. Dans un style simple, il met en lumière le destin des hommes et des femmes qui se sont distingués par le sens de l’honneur et qui ont fait la France d’aujourd’hui. L’officier le plus décoré de l’armée française rend ainsi un hommage vibrant aux héros qui ont œuvré pour leur patrie. Certains sont célèbres comme Pierre et Marie Curie, les découvreurs de la radioactivité naturelle, Lyautey, le promoteur d’un empire colonial éclairé, Albert Schweitzer, le premier « médecin sans frontières », Jean Bouin, « un grand sportif, mais aussi un vrai patriote, mort au champ d’honneur en 1914 », le boxeur Marcel Cerdan qui a connu une fin tragique, Jacqueline Auriol, la première femme à avoir passé le mur du son aux commandes d’un avion, Clemenceau, le Père la Victoire, les généraux de la France victorieuse en 1945 (Leclerc, de Lattre, de Gaulle), Jean Moulin, le chef héroïque de la Résistance (« son corps est brisé, mais pas son âme »)…
D’autres sont restés anonymes. Parmi ceux-ci : les combattants de Verdun pendant la Première Guerre mondiale (« la der des der »), les évadés des camps nazis et les soldats largués dans l’enfer de Diên Biên Phu. À cette occasion, le général Bigeard fustige les hauts responsables militaires qui croyaient avoir « l’idée du siècle » en voulant installer une base opérationnelle dans cette maudite cuvette du Tonkin. Dans cette affaire mal préparée, ce n’est certainement pas le courage des hommes sur le terrain qui a été en cause, mais l’attitude « d’officiers généraux incompétents et des politiciens indifférents ».
Dans son hommage aux combattants anonymes, l’auteur s’attarde avec une grande émotion sur le courage de trois hommes. C’est d’abord Corentin Carré, « ce jeune soldat breton, originaire du Faouët, qui s’est engagé dans l’infanterie en 1915, en présentant de faux papiers parce qu’il n’avait pas l’âge réglementaire… Il n’avait que quinze ans ». Il est mort au combat en 1918. Puis c’est ce tirailleur sénégalais qui s’est vu remettre la Légion d’honneur en 1998, soit quatre-vingts ans après ses combats héroïques contre l’envahisseur. C’est enfin le sergent-chef Sentenac qui est mort en 1957 dans les bras de Bigeard à l’issue d’une opération menée dans la région de Timimoun en Algérie : « Sentenac est mort apaisé, dans mes bras, me saluant une dernière fois, en murmurant Qui ose gagne… Et si je ne devais garder qu’un héros de ce siècle, c’est lui que je choisirais, car il était un des plus purs. Symbole parfait de tous ceux dont le nom ne laissera aucune trace dans l’Histoire, mais dont la vie et la mort furent exemplaires ».
Les héros du siècle, ce sont aussi les Vietnamiens qui ont tenu tête à la première puissance du monde. Dans ce « paradoxe typiquement asiatique », les fourmis ont écrasé le bulldozer américain. De la débâcle américaine sur les terres d’Extrême-Orient, l’enseignement à tirer est clair : une armée qui perd le soutien de son pays perd aussi son potentiel. La démonstration contraire en a été faite au Proche-Orient pendant la guerre des Six-Jours. Dans cette épreuve, Israël a donné l’exemple « du seul pays moderne où les guerriers sont toujours des héros pour le peuple. Peut-être tout simplement parce qu’ils sont le peuple et qu’ils savent pourquoi ils se battent ». Le général Bigeard n’en démord pas : une nation qui veut être respectée doit posséder une armée forte. Or, sur ce sujet qui le touche beaucoup, l’auteur s’inquiète du cas de la France où « l’armée n’est plus une priorité ». Il exprime notamment sa colère à propos de la suppression du service national, « un instrument de brassage formidable, la découverte justement que nous appartenons tous à un seul et même pays ». Trop de jeunes n’apprennent plus le respect, la discipline, les règles de la vie en groupe et les contraintes du travail. Pour l’auteur, toutes ces vertus de la vie étaient précisément inculquées pendant la période que les adolescents passaient sous les drapeaux : l’armée était « le meilleur instrument d’intégration qui existait… Un jour, nous regretterons notre armée de conscription ».
Le général Bigeard reprend le message poignant qu’il avait lancé sous une autre forme dans France réveille-toi ! (Éditions n° 1, 1997). Beaucoup de Français ont besoin d’un idéal. C’est le moteur de la vie, car tout ce qui est matériel finit toujours par disparaître. Le légendaire parachutiste est formel : seules les idées traversent le temps et les plus belles nous viennent de nos grands anciens. Elles n’ont pas vieilli. Notre devoir est de les ranimer et de les transmettre intactes à la jeunesse qui en a besoin. Le livre n’est toutefois pas un document de nostalgie. C’est au contraire un livre d’espoir qui incite le lecteur à méditer sur l’exemple de tous ces héros, connus ou inconnus, qui ont écrit les plus belles pages de l’histoire de France. Le présent s’appuie sur un passé « dont nous pouvons, nous devons, être fiers ». On doit se référer au passé, mais ne pas vivre avec lui. Pour l’auteur, ce qui compte c’est demain. C’est dans cet esprit que le général Bigeard a revêtu, dans cet ouvrage prenant, sa « tenue de combat » pour affronter les nouveaux défis du XXIe siècle. ♦