Comprendre la guerre
Une sorte de jubilation saisit le lecteur, une fois lu et refermé le beau livre de Vincent Desportes. Qu’en l’an 2000, un officier supérieur d’active, appartenant à l’armée de terre, puisse présenter au public, c’est-à-dire aussi à ses commensaux, voire à ses chefs, un véritable manuel de la guerre, aussi bien illustré d’exemples pertinents qu’il est supérieurement écrit, aussi passionnant qu’il est dense, est un signe hautement positif de bonne santé. À l’évidence, l’esprit demeure dans les rangs d’une armée où l’on ne dédaigne point de prendre ainsi la plume, et où, jusqu’à plus ample informé, les auteurs d’ouvrages de réflexion stratégique ne sont pas automatiquement « rayés du tableau d’avancement ».
Les familiers de Défense Nationale se souviennent avoir lu, signés Vincent Desportes, plusieurs articles de grande qualité sur le rôle de son arme — il est cavalier — et de ses chars dans la non-guerre moderne et l’imposition de la paix. Très différent, on s’en doute, et d’une vaste ampleur, est Comprendre la guerre. Le livre embrasse l’ensemble de celle-ci, ses formes et ses principes ; il analyse les principales théories se rapportant à cet art subtil ainsi que les relations de ce dernier avec « la remarquable trinité » que constituent l’armée, le peuple et le gouvernement. L’exposé est exhaustif, synthétique et réussi. Les théories passées en revue sont admirablement expliquées à la lumière d’une pratique, riche d’exemples historiques, les uns très connus, d’autres beaucoup moins, souvent recueillis dans certaines des plus remarquables bibliothèques d’outre-Atlantique.
Pour rayonner, l’homme de guerre doit être pétri de culture. Charles de Gaulle l’avait maintes fois recommandé. Cette exigence est aujourd’hui encore plus indispensable qu’hier aux soldats. Le maintien de la paix internationale, en effet, suppose chez le militaire, à quelque niveau de la hiérarchie qu’il se situe, de joindre au courage les adjuvants nécessaires de son intelligence et de sa réflexion, ainsi qu’une saine appréciation des buts politiques, normalement affichés par le pouvoir qui le dépêche sur le terrain. Certes, le soldat de l’an 2000 trouvera dans Comprendre la guerre bien des réminiscences, bien des souvenirs de lectures, bien des faits historiques dont il a déjà entendu parler et qu’il croit connaître ; mais ce livre va au-delà pour mieux sublimer le récit ; il permet de replacer l’histoire, la pensée militaire et la réflexion stratégique en perspective. Le titre comme l’objet de ce travail sont aussi ambitieux que le résultat est conforme. La satisfaction du lecteur, au moins la nôtre, est de suivre l’auteur dans sa volonté d’expliquer et de comprendre son propos. Sans doute, dira-t-on, cela est bien le moindre, s’agissant d’un ouvrage didactique ! Il n’empêche ! Tirer d’un sujet plutôt aride un texte lumineux et passionnant va au-delà de la simple réussite littéraire. Vincent Desportes est un maître dès lors qu’il explique, donne à connaître, invite à réfléchir. C’est un chef, puisque, à l’instar d’un Bugeaud ou d’un Lyautey, il sait instruire des hommes tout en les distrayant. C’est un officier de caractère qui le prouve en allant de l’avant sans crainte d’irriter. En insistant in fine sur la persistance d’une pensée stratégique française qu’on n’ose ici qualifier « d’unique », en notant qu’après tout la stratégie enseignée ces jours-ci sur les bords de la Seine est toujours aussi directe que naguère, Vincent Desportes en souligne le caractère à la fois désuet et dépourvu singulièrement de subtilité. Dans les conflits de l’après-guerre froide, la destruction d’un adversaire éventuel passe du rang de finalité à celui de modalité peu probable. Le colonel Desportes appelle donc, implicitement, à un renouveau de la pensée stratégique nationale tout en déplorant, avec la discrétion convenable, la lenteur inéluctable de l’évolution, tant il est vrai, écrit-il, que « la culture est bien ce qu’il y a le plus difficile aussi bien à admettre qu’à modifier ».
On voudrait émettre un vœu : que les officiers placés par la République à la tête de ses armées obtiennent de leurs subordonnés qu’ils excipent une connaissance suffisante de la guerre, qu’ils soient aptes à en saisir les subtilités, qu’ils en assimilent la culture, autrement dit qu’ils s’imprègnent de ce livre remarquable. Comme on le dit souvent, le style, c’est l’homme. En voilà un nouveau dont on reparlera ! ♦