Les Russes et la sécurité européenne
Ana Pouvreau, jeune chercheur spécialiste de la zone postsoviétique, formée dans les universités américaines et docteur en études slaves de l’université de Paris IV-Sorbonne, a pressenti, de manière remarquable, dans cet ouvrage paru à la fin de 1998, les risques de radicalisation de l’opinion publique russe envers les initiatives occidentales dans le domaine de la géopolitique.
Sur la base de recherches qu’elle a menées pour l’Otan et pour l’UEO, et d’analyses détaillées de la presse russe, notamment d’articles parus depuis 1995 dans L’Étoile rouge, l’organe de presse officiel du ministère de la Défense de la Fédération de Russie, l’auteur a montré comment les Russes perçoivent la protection de leurs intérêts nationaux dans la période de l’après-guerre froide et comment cette perception a évolué jusqu’à prendre la forme d’un nouveau « syndrome de la forteresse assiégée ».
Confrontés à une réduction sans précédent de leur espace géostratégique, à des menaces intérieures — liées aux velléités d’autonomie de certains des 89 sujets de la Fédération de Russie — et extérieures, vu l’évolution de leur « étranger proche », les Russes doivent faire face dans le nouvel environnement international au processus d’extension sans précédent de l’Alliance atlantique vers l’Est. À cet égard, Ana Pouvreau explique de manière particulièrement pertinente et pédagogique le rôle des structures et des mécanismes mis en place par l’Otan depuis 1991 dans sa tentative de construction d’une nouvelle architecture de sécurité européenne (Conseil de coopération Nord-Atlantique, Partenariat pour la paix, Conseil de partenariat euro-atlantique, etc.), voire extra-européenne puisque, comme le rappelle l’auteur, les initiatives de l’Alliance atlantique se sont multipliées en Asie centrale, région clé du continent eurasiatique.
Au fil de l’ouvrage, la présentation de la perception russe des événements qui ont marqué l’après-guerre froide, et notamment l’analyse de la réaction de la Russie envers l’engagement de l’Occident dans les récents conflits balkaniques, apparaît comme un élément indispensable dans l’élaboration d’une politique extérieure européenne cohérente à l’égard de la puissance russe.
Loin de repousser la Russie hors du concert des nations, une prise en considération des risques de « paix froide » ou de « nouvelle guerre froide », décelés par l’auteur dans son examen assidu des sources russes, aurait permis d’éviter la radicalisation des Russes à l’égard de l’Occident et de modérer leur recherche frénétique de nouveaux alliés sur la scène internationale, développement également souligné dans l’ouvrage.
Le conflit au Kosovo et plus récemment les positions défendues par la Russie depuis l’éclatement de la deuxième guerre de Tchétchénie montrent le bien-fondé de la recherche prospective entreprise par Ana Pouvreau dans son analyse. ♦