Deutschland über alles : le pangermanisme (1890-1975)
En 1990, l’auteur nous avait déjà régalé d’une magistrale Quand l’Allemagne pensait le monde, sous-titrée : grandeur et décadence d’une géopolitique. Il revient à la charge, mais en circonscrivant cette fois son étude à la Ligue pangermaniste (Allgemeiner Deutscher Verband : ADV), cible privilégiée des militants hexagonaux de la cause antiallemande tels qu’Ernest Denis « le grand ami des Slaves » dont Korinman semble ignorer que dans La Serbie il qualifiait Belgrade de ville judéo-allemande, ou André Chéradame qui, à l’instar de Barrès et de Daudet, parlait du « complot judéo-allemand ».
L’ADV va naître de l’indignation ressentie par des patriotes qui s’insurgent contre l’accord anglo-allemand du 17 juin 1890. On a bradé contre un minuscule rocher, Heligoland, des territoires africains riches d’avenir : Zanzibar, etc. Y adhéreront au cours des 50 ans d’existence — à laquelle la Gestapo mettra un terme le 13 mars 1939 — des professeurs tels qu’E. Haeckel, l’inventeur de l’écologie, Ernst Hasse le statisticien, son premier président (auquel en 1908 succédera Heinrich Class, 1868-1953) ; des journalistes : Fritz Bley et Otto Arendt ou Viktor Schweinburg défenseur de la loi sur la flotte du 23 mars 1898, tous deux juifs ; des industriels : Alfred Hugenberg (1865-1951) qui, le 20 octobre 1928, prendra la tête du DNVP (nationaux) et sera l’initiateur de la grande manifestation de Harzburg (11 octobre 1931) où se regrouperont toutes les forces de l’opposition nationale et notamment les Stahlhelm et le NSDAP de Hitler pour former le Front de Harzburg.
Adhéraient également à la Ligue — l’antiparti par excellence — ou en approuvaient ses buts des personnalités telles que Stresemann, dont elle réclamera le départ après Locarno (décembre 1925), le créateur de la géographie politique Fritz Ratzel, les frères Goerdeler, dont l’aîné Karl aurait dû devenir chef du gouvernement si la bombe de Stauffenberg avait tué le Führer (20 juillet 1944), mais fut exécuté à Plötzensee avec d’autres résistants le 2 février 1945, les frères Liebig (dont l’un, Justus était universellement connu).
Les effectifs de la Ligue ne dépassèrent jamais 40 000 membres, passant de 2 000 en 1891 à 18 800 en 1925 avec un pic de 37 000 en 1918 et de 16 000 en 1933. Sa dérive völkisch (raciale ?) avec une forte tonalité antisémite qu’étaient loin, tant s’en faut, d’approuver tous ses adhérents, sera perçue par beaucoup comme une anticipation du national-socialisme. Hugenberg, en acceptant un ministère dans le premier cabinet d’Hitler, avait cru pouvoir contrôler ce dernier. Quand il s’apercevra de son erreur, les jeux étaient faits et il démissionnera 5 mois plus tard le 27 juin 1933.
À travers l’histoire mouvementée de la Ligue, ce n’est pas seulement celle de l’Allemagne, mais celle de la tragédie européenne que nous fait revivre M. Korinman. C’est un livre qui mérite d’être lu, mais présuppose de solides connaissances d’histoire contemporaine, voire d’histoire diplomatique contemporaine. ♦