Les sentinelles du soir
Après avoir, dans ses Mémoires — Les champs de braises —, relaté les combats qu’il a menés en Indochine et en Algérie, et les épreuves douloureuses qu’il a supportées, déportation, procès, captivité, le commandant de Saint-Marc évoque avec passion les personnages qui ont marqué sa vie. Certains de ses souvenirs lui laissent un goût amer : l’essai de justification du juge qui l’a condamné, l’autosatisfaction de tel homme d’État, l’amère victoire du colonel Viêt-Minh, le naufrage de l’Algérie constaté par son ami pied-noir.
Les sentinelles du soir qui habitent ses veilles, ce sont les partisans de Talung qu’il accompagne dans la mort, Hélène la résistante et ses compagnons de déportation, le sage Monsieur Pham, disparu dans les camps de rééducation, l’adjudant Bonnin dont l’autorité tranquille subjugue les parachutistes vietnamiens, mais aussi les femmes dont le mystère et la beauté le fascinent.
Figures hiératiques, ces sentinelles éclairent son chemin dans la nuit de l’histoire, elles donnent un sens à une vie d’homme. Courage, fidélité, honneur, refus du mensonge, fraternité, c’est un message de haute philosophie qu’il délivre à ses interlocuteurs, colonels au retour de Bosnie ou capitaine partant pour l’Extrême-Orient. La mystique n’en est pas absente, exprimée par frère Émile dans un monastère de Provence : « La foi, ce n’est rien d’autre : faire confiance, avancer dans la nuit, basculer dans l’instant suivant comme vous sautiez en parachute ».
On ne résume pas un livre d’une telle hauteur de vue et d’une telle poésie. On le relit et l’on s’imprègne de sa leçon finale : « Simplement, essayer d’être un homme ». ♦