L'ingérence humanitaire : vers un nouveau droit international ?
Je vous remercie de l’honneur que vous m’avez fait en me confiant la présidence de cette réunion. À vrai dire, j’agirai moins comme un président que comme un modérateur, encore que ce nom soit impropre en la circonstance car, pour « modérer », il faudrait que les opinions qui seront proférées soient excessives. Lire la suite
Jean-François Revel nous rappelait récemment qu’il avait lancé la notion de « devoir d’ingérence » dans un article de L’Express de juin 1979, ayant à l’esprit l’empereur Bokassa et le maréchal Amin Dada. La non-ingérence dans les affaires étrangères des États souverains, affirmait-il à cette occasion, ne devait s’appliquer qu’aux nations démocratiques. Je pense que J.-F. Revel avait raison de demander une intervention internationale contre des régimes aussi sanguinaires que grotesques, mais qu’il a tort de penser aujourd’hui, avec bien d’autres militants de l’action humanitaire, qu’il est nécessaire de créer une norme juridique spéciale pour légitimer ce devoir d’ingérence. L’idée d’un droit d’ingérence associée aux affaires humanitaires me semble inadéquate. Elle accrédite la thèse qu’il faudrait créer un nouvel instrument juridique pour exiger le respect du droit international. Lire les premières lignes
• Ne doit-on pas être inquiet du clivage entre les Occidentaux qui ont inventé le droit et le reste du monde qui a subi l’ingérence, pas humanitaire du tout, de l’Occident pendant le XIXe siècle ? N’y a-t-il pas un rôle de pédagogie, d’échange des cultures, à instaurer pour éviter le choc ? Lire la suite
Repères - Opinions - Débats
Les termes de la loi sur les nouvelles réserves ont été évoqués dans nos chroniques « Défense en France » et « Marine ». Dans l'article qui suit, le contrôleur général des armées (CR) Jean-Claude Roqueplo, ancien directeur de la fonction militaire et des relations sociales au ministère de la Défense, ancien chef du contrôle général des armées, à l'époque président de l'Association amicale de l'EMSST, expose ses réflexions sur cette nouvelle organisation mise en plus par ladite loi. Lire les premières lignes
Traitant plus particulièrement, jusqu'à maintenant, des questions relatives à la péninsule ibérique, le chef de bataillon Jérôme Pellistrandi aborde cette fois-ci l'évolution de la situation stratégique et la réorganisation de l'armée de terre française. Nous rappelons, que cet officier est affecté au centre de recherche et d'étude de doctrine de l'armée de terre, organisme dépendant du commandement de la doctrine et de l'enseignement militaire supérieur. Il donne ici son point de vue personnel, qui n'engage pas celui de son organisme.
Très fidèlement, le général Paris, spécialiste de l'URSS puis de la CEI, nous a informés sur les évènement et les bouleversements qui se sont produits dans ces pays. Dans l'article ci-dessous, il appelle notre attention sur les élections de décembre 1999 en Russie, l'arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine, la guerre de Tchétchénie et la rapprochement avec la Chine. Pour lui, les Occidentaux, en particulier les Américains, n'ont pas conscience de la portée réelle de ces faits.
La candidature de la Turquie à son entrée dans l'Union européenne ayant été acceptée, la question qui fait le titre de cet article est âprement débattue actuellement. Le vice-amiral d'escadre Philippe Durteste, ancien préfet maritime et commandant en chef pour la méditerranée, tente d'y répondre en analysant les données de ce problème difficile. Lire les premières lignes
L'auteur de cet article, qui a déjà écrit dans notre revue, est professeur de français à l'École navale. Ayant pris connaissance, dans le Wall Street Journal, d'un article très dur contre la politique française, et connaissant bien le monde américain, il a voulu se livrer à une sorte d'arbitrage entre les opinions que chaque peuple a de l'autre, de part et d'autre de l'Atlantique. On en arrive toujours à la même conclusion ; on ne s'aime peut-être pas beaucoup, mais on ne se déteste point !
En 1997, le général (CR) Alain Lamballe, docteur en sociologie politique diplômé d'hindi et d'ourdou, ancien attaché de défense au Pakistan, avait rédigé deux excellents textes sur ce pays et sur le Cachemire. Cette fois-ci, il nous livre ses réflexions sur la situation au Pakistan après le coup d'État du 12 octobre 1999. Dans notre numéro de février 2000, nous avions en outre publié un étude de Michel Pochoy sur le récent conflit du Cachemire.
L'auteur, journaliste indépendant, ne s'était pas exprimé sur le différend israélo-arabe, dans notre revue, depuis novembre 1996. Spécialiste des questions du Proche-Orient, il revient, dans l'article ci-dessous, sur un point d'histoire correspondant à la fondation de l'État d'Israël.
La fin de l'apartheid en Afrique du Sud a constitué un événement important dans l'histoire de la démocratie. Pendant la présidence de Nelson Mandela, la transition politique s'est déroulée sans heurts majeurs malgré des prévisions pessimistes de la majorité des commentateurs. Après le retrait du prix Nobel de la paix de la scène diplomatique, la république d'Afrique du Sud est entrée dans une nouvelle ère de défis et d'espoirs, mais aussi d'incertitudes. L'analyse de cette mutation nous est présentée par Michel Klen qui connait bien ce pays atypique sur lequel il a rédigé, il y a quelques années, un thèse de doctorat.
Chroniques
« Être compétent, c’est se tromper selon les règles ». Paul Valéry Lire les premières lignes
En décembre dernier, le Conseil de l’Union européenne a siégé sous présidence finlandaise et l’Otan a tenu son conseil semestriel des ministres des Affaires étrangères. La comparaison des communiqués publiés à l’issue de ces réunions confirme la coexistence de deux entendements de la coopération entre l’Union européenne et l’Alliance atlantique. Lire la suite
La comptabilité des services de l’État a été conçue pour répondre aux exigences des règles des finances publiques. Héritage d’un temps où le besoin d’information était plus réduit et le traitement de nombreux renseignements long et difficile, elle permet de suivre au franc près les dépenses de l’État. Aujourd’hui, les différents acteurs de la dépense publique ne peuvent plus se contenter de conduire les affaires de l’État avec une technique qui a vu sa pertinence se limiter à la seule connaissance du niveau des crédits dont ils disposent encore. De plus en plus, ils ont besoin d’informations précises et détaillées portant sur la nature de leurs dépenses et sur leur efficacité. Lire la suite
En raison de leur condition militaire, les personnels de la gendarmerie sont soumis à l’ensemble des droits et obligations définis par le règlement de discipline générale dans les armées (décret du 28 juillet 1975) et font, à ce titre, l’objet, selon la formule célèbre du doyen Hauriou, d’un « cantonnement juridique ». Bien que le statut général des militaires (loi du 13 juillet 1972) affirme que ces derniers « jouissent de tous les droits et libertés reconnus aux citoyens », il est toutefois précisé que « l’exercice de certains d’entre eux est soit interdit, soit restreint ». Lire la suite
Dès le début des années 90, l’Ouganda a activement manifesté ses ambitions régionales. Revenu au pouvoir par les armées en 1986 après une transition difficile, le président Yoweri Museveni, après avoir commencé à stabiliser la situation intérieure de ce pays de 236 000 kilomètres carrés et 21,5 millions d’habitants, a appliqué un programme économique qui a séduit les grands bailleurs de fonds. Il a vite été perçu en Afrique, mais surtout dans le monde occidental, comme un « nouveau dirigeant » moderne et efficace, symbole du renouveau politique du continent. Fort de cette image et d’un soutien important des États-Unis, de la Grande-Bretagne, de l’Allemagne et de nombreux autres pays du Nord de l’Europe, il a cherché à forger, de la corne de l’Afrique jusqu’à l’Angola et l’Afrique du Sud un système d’alliances grâce auquel il serait en mesure de réaliser cette ambition régionale. Durant cette décennie, il a développé sa politique en Afrique centrale selon deux axes principaux : un soutien notable à la rébellion sud-soudanaise de John Garang (appuyée elle-même par les États-Unis hostiles au régime pro-islamiste de Khartoum) et, simultanément, un appui décisif aux mouvements tutsis rwandais, réfugiés en Ouganda depuis les années 60, et qui l’avaient aidé à conquérir le pouvoir. Lire la suite
Bibliographie
Paul-Marie de La Gorce a déjà publié un ouvrage sur de Gaulle en 1964 (1). À cette époque, il n’existait sur le sujet que très peu de sources, à peine quelques esquisses biographiques, aucune étude universitaire ou scientifique, très peu de témoignages, et pratiquement aucune archive n’était accessible. Rien de tel aujourd’hui. Toutes les archives sont ouvertes, même avec quelques restrictions en France, mais aussi en Angleterre, en Allemagne, aux États-Unis, en Russie. Lire la suite
Cette revue a déjà eu souvent l’occasion d’attirer l’attention de ses lecteurs sur les ouvrages toujours très enrichissants de François Thual, qui, outre ses fonctions de conseiller au Sénat, est actuellement directeur d’études au Collège interarmées de défense (CID) et chargé de cours à l’École pratique des hautes études (1). Voici un nouveau livre du même auteur, intitulé Le désir du territoire, qui nous paraît particulièrement éclairant pour la compréhension des conflits qui secouent actuellement ou menacent notre planète. Et cela d’autant plus que le complète l’Introduction à l’analyse géopolitique de Aymeric Chauprade, préfacé par le même François Thual, et imprégné de ses méthodes d’analyse. Lire la suite
Le titre de ce gros ouvrage très documenté, accompagné de plus de cent pages de notes et de dix-sept annexes, est un peu trompeur. Photo de couverture à l’appui, il évoque, entre le « chef des armées » et les hommes en uniforme, un contact direct à la manière de l’Empereur venant pincer l’oreille du grognard. Or, seuls sont cités quelques titulaires de très hauts postes, notamment l’amiral Lanxade, « homme de confiance et allié de poids du président », qualifié ensuite bizarrement de « commandant en chef de l’EMA » (page 222). Un militaire, agressé périodiquement sur le thème des « gros bataillons », n’emploierait pas le qualificatif de « corpulent » pour dépeindre nos unités, et un officier d’état-major qui a pâli sur les « QP » n’affirmerait pas que « le contrôle parlementaire est quasiment inexistant ». Il s’agit donc plutôt ici, hors de tout témoignage interne, de politique militaire vue depuis le monde des cabinets (Louis Gautier fit partie de celui de Pierre Joxe) et les colonnes du célèbre quotidien qui sert (aurait dit Stendhal) de coran aux équipes de nos excellences. Lire la suite
Après avoir, dans ses Mémoires — Les champs de braises —, relaté les combats qu’il a menés en Indochine et en Algérie, et les épreuves douloureuses qu’il a supportées, déportation, procès, captivité, le commandant de Saint-Marc évoque avec passion les personnages qui ont marqué sa vie. Certains de ses souvenirs lui laissent un goût amer : l’essai de justification du juge qui l’a condamné, l’autosatisfaction de tel homme d’État, l’amère victoire du colonel Viêt-Minh, le naufrage de l’Algérie constaté par son ami pied-noir. Lire la suite
Je vous remercie de l’honneur que vous m’avez fait en me confiant la présidence de cette réunion. À vrai dire, j’agirai moins comme un président que comme un modérateur, encore que ce nom soit impropre en la circonstance car, pour « modérer », il faudrait que les opinions qui seront proférées soient excessives.
Pour lancer le débat, et émettre un peu l’opinion de l’homme de la rue, de celui qui n’est pas juriste, ce qui est mon cas, je voudrais refléter ce que pense l’uomo qualunque et poser quelques questions.
Voici mes questions, fort brèves : la première concerne le droit d’ingérence humanitaire. Est-ce un droit ? A priori non ! tout au moins dans l’état actuel du droit. La tradition internationale veut que l’État soit libre d’agir comme il lui plaît à l’intérieur de frontières internationalement reconnues. Depuis 1945, il y a cet article fameux de la Charte des Nations unies qui énonce (art. 2 § 7 de la Charte) ce principe fondamental de la non-intervention dans les affaires intérieures d’un État. Je me souviens que ce principe conduit à de curieuses alliances. Aux Nations unies, lorsque la France menait la guerre d’Algérie, notre ambassadeur avait quelque difficulté à critiquer la Chine à propos du Tibet, car on avait peur alors d’être en dissonance avec notre propre position selon laquelle le problème algérien était une affaire intérieure.
Ma deuxième question est la suivante : peut-on cependant laisser un État faire n’importe quoi, y compris assassiner ses propres nationaux ? Là encore, la réponse est non ! Il faut alors faire un retour vers le passé. Dans les guerres anciennes, ce sont les forces armées des belligérants qui subissaient les coups, ce qui a toujours paru normal. Dans les conflits modernes, on a fait souffrir les populations civiles. Je pense à ce que tout le monde connaît : Amsterdam rasée, Coventry rasée, Dresde incendiée, sans parler de Tokyo, Hiroshima, Nagasaki, etc. Les guerres actuelles, qui ne sont plus des guerres mondiales, mais des guerres qui atteignent surtout le Tiers Monde, touchent essentiellement les populations civiles, allant parfois, comme au Rwanda, au Nigeria ou en Sierra Leone, jusqu’à de véritables génocides, sans parler du Liban, du Kurdistan, du Kosovo ou de la Tchétchénie.
Est-ce que la communauté internationale a les mêmes pratiques d’ingérence quel que soit le conflit en cours ? C’est mon troisième non ! Prenons quelques exemples. Le premier cas d’ingérence humanitaire est le saut des parachutistes sur Kolwezi, au Katanga. Il s’agissait alors moins de soulager des populations katangaises que de sauver des expatriés européens qui risquaient d’être massacrés. Autre exemple qui s’est mal terminé : l’opération Turquoise au Rwanda. Les opérations du Liban et de Somalie ont abouti à des échecs. Au Liban, avec le terrorisme qui a tué un certain nombre de militaires français et américains, les Occidentaux ont préféré évacuer les lieux. Et puis il y eut l’opération au Kurdistan d’Irak. Les troupes américaines, britanniques et françaises, qui étaient massées à la frontière irakienne, ont libéré le Koweït, acculant entre les marais et la frontière d’Iran les meilleures troupes irakiennes, la garde nationale. Le président Bush a décidé d’arrêter la guerre alors que celles-ci étaient condamnées à la capitulation dans un délai de deux à trois jours. Le président américain et ses conseillers avaient craint alors la constitution de trois États en Irak : kurde au nord, sunnite au centre et chiite au sud. Pourtant, les grandes installations pétrolifères d’où l’Amérique tire l’essentiel de ses importations se trouvent à Dhahran, zone chiite d’Arabie Séoudite et, comme l’Iran est également chiite, on pouvait redouter que l’État chiite iranien pût contrôler le site de Dhahran. Reste l’humanitaire avec l’opération Provide Comfort, et les Américains, qui connaissent mal la géographie humaine du Proche-Orient et qui sont habitués aux parallèles, en ont déterminé un qui inclut Mossoul indiscutablement arabe, mais qui laisse une grande partie du Kurdistan d’Irak aux mains de Saddam Hussein. Pourquoi les Américains ont-ils été amenés à intervenir avec les Britanniques et les Français ? Sans doute parce que l’opinion publique internationale avait constaté que ces mêmes troupes irakiennes, qui avaient été épargnées, ont d’abord écrasé la révolte chiite au sud de l’Irak, puis sont allés au Kurdistan faisant fuir deux millions et demi de Kurdes. La pression de l’opinion publique fut alors d’autant plus forte que CNN montrait l’exode kurde en direct. Il y eut aussi trois échecs majeurs : le Tibet pour lequel on ne fait rien alors que la Chine continue à y déverser ses populations ; la Turquie malgré la répression sévère dont pâtit la population kurde où l’on compte quatre millions d’expulsés de leurs foyers (c’est infiniment plus grave que ce qu’a fait Milosevic contre les Kosovars), mais ce pays semble intouchable, car il couvre le flanc Sud de l’Otan. Enfin, le troisième exemple est celui de la Tchétchénie à propos de laquelle on se contente d’inciter les Russes à la modération !
Alors, que cache cette différence de traitement ? Certains avancent que les Occidentaux interviennent dans le domaine humanitaire par l’impérialisme quand l’État est faible, ce qui est le cas de l’Irak et de la Serbie, alors qu’ils se gardent de toute intervention quand l’État est puissant. Est-ce donc de l’impérialisme, de la lâcheté ou tout simplement de la prudence ?
Qu’est-ce qui pousse à l’ingérence humanitaire ? C’est effectivement l’opinion publique, qui a de plus en plus de poids dans les démocraties, notamment grâce à l’action des médias bien que l’opinion soit quelque peu mithridatisée par les horreurs dont on l’abreuve. N’est-on pas en droit de voir dans ce devoir d’ingérence humanitaire l’apparition d’une nouvelle forme de droit qui va exister par la pratique que l’on va en faire ? Est-ce que l’action n’engendre pas finalement le droit ? Je me souviens, un jour à Djibouti, que l’on m’expliquait que sous nos pas se développait une sorte de minuscule volcan : c’était l’Afrique destinée à se fracturer en deux au bout de quelques millions d’années. Ce droit d’ingérence humanitaire n’est-il pas en train de naître sous nos yeux ? ♦
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