L’Année stratégique 1998
Depuis près d’une dizaine d’années, l’Institut français de relations internationales et stratégiques (Iris) publie, sous la direction de Pascal Boniface, L’Année stratégique qui se propose de faire le point de la situation géostratégique dans le monde à l’issue de l’année écoulée. À l’origine, cet ouvrage s’était inspiré du célèbre annuaire publié par l’International Institute for Strategic Studies de Londres, dont il reproduisait d’ailleurs, sous le titre « Les équilibres militaires », l’incomparable Military Balance, laquelle provenait des meilleures sources de l’« intelligence anglo-saxonne ». Maintenant, L’Année stratégique vole entièrement de ses propres ailes et ses annexes statistiques concernant chaque pays fournissent, outre les données concernant sa défense, celles relatives à sa superficie, sa démographie, son économie et son commerce, sa société civile et son régime politique, c’est-à-dire tous les éléments de sa « puissance ». Il comporte aussi le classement de celle-ci par ordre d’importance, en fonction de sa superficie, sa population, son produit intérieur brut total, son produit intérieur brut par habitant, les effectifs de ses forces armées et la proportion de ses dépenses militaires par rapport à son produit intérieur brut.
Bien entendu, chaque région ayant une spécificité géostratégique fait l’objet d’une analyse approfondie de sa situation présente, rédigée par un expert de la région considérée, et il en est de même, « mondialisation » oblige, pour le commerce international et les industries d’armement. Nous ne pouvons que les survoler ici, après nous être arrêtés toutefois sur l’introduction de l’ouvrage, puisqu’elle a été rédigée par celui qui en a dirigé l’élaboration et qu’elle concerne « l’ordre mondial » qui, pour lui, est « en mutation », et l’« ordre nucléaire » qui, pour lui toujours, est « confirmé ». Si nous commençons par ce dernier point, le jugement qui précède résulte pour son auteur des essais effectués en mai dernier par l’Inde et le Pakistan. Pour lui en effet, ils n’ont pas constitué des événements, et ne méritent d’aucune façon les « commentaires à connotation catastrophique » qui les ont suivis, au cours desquels le cocktail nucléaire + zone géographique non occidentale a donné lieu à « un déluge d’analyses où l’émotion l’emporte sur le raisonnement et le préjugé sur l’intelligence ». Tout en souhaitant ne pas être inclus dans cette catégorie, puisque nous nous sommes essayés ici même à analyser ces conséquences, nous retiendrons que Pascal Boniface admet, comme nous l’avons fait, que dans cette affaire c’est la Chine surtout qui est concernée ; et aussi de façon plus immédiate, avions-nous ajouté, Israël, sujet que n’évoque pas non plus, plus loin, Victor Manceron dans sa revue de la situation au Proche-Orient « en panne », avec « à l’Est du nouveau », « l’Iran enfin fréquentable », et « le déplacement du centre de gravité du Proche vers le Moyen-Orient ». Ajoutons que, dans son envoi, Pascal Boniface insiste aussi, avec raison pensons-nous, sur les dangers que présente l’actuelle « prolifération étatique » et sur la « volonté d’impuissance » que manifesteraient les grandes puissances devant le désordre mondial, puisque seul le monde occidental est « réellement unipolaire ».
Au sujet de ce dernier, Bruno Tertrais et Amaya Bloch-Lainé nous présentent un panorama de l’Europe occidentale, où ils s’arrêtent sur la « panne de la dynamique communautaire » et sur les aléas de la monnaie unique comme « vecteur de l’union politique », ainsi que sur ceux de l’élargissement de l’Union et de la réforme des structures de l’Otan. En ce qui concerne le « couple franco-allemand », pour nous le sujet le plus important, ils estiment que « les deux dernières années ont révélé à quel point (son fonctionnement) repose sur la volonté de dépasser par des initiatives communes (dans tous les domaines) les divergences de fond qu’il serait absurde de nier » ; et ils s’interrogent sur « la relance d’un triangle Bonn-Paris-Londres ». Nous retiendrons aussi, tout particulièrement, la contribution de Valérie Niquet sur l’Asie, dont elle est une « experte » reconnue. Elle s’arrête bien entendu sur l’Asie du Sud-Est, pour laquelle 1997 avait été une « année horrible », horreur qui se prolonge encore de nos jours tout en faisant tache d’huile dans le monde. Elle s’interroge aussi sur les conséquences que va avoir cette crise sur le paysage régional, en préconisant la « diversification de la politique française en Asie ».
L’ouvrage poursuit ce survol panoramique de la situation géostratégique dans le monde en examinant successivement celle de l’Europe centrale et orientale, de la Russie et de la CEI, des États-Unis, de l’Amérique latine et de l’Afrique subsaharienne, en mentionnant pour chaque région le rappel chronologique des principaux événements qui y sont survenus depuis janvier 1997. Si on ajoute que l’ouvrage comporte un panorama du commerce international et celui des industries d’armement dans le monde, ainsi que les statistiques très complètes évoquées plus haut, L’Année stratégique 1998 constitue, comme ses prédécesseurs, un excellent ouvrage de référence qui ne fait pas double emploi avec le Ramses 99 de l’Ifri, que nous avons eu l’occasion d’analyser récemment ici, car ce dernier a une orientation plus prospective que rétrospective. ♦