La France gagne la guerre des codes secrets, 1914-1918
Au début du siècle, l’utilisation à des fins militaires des télécommunications, de la radio comme on disait alors, est allée de pair avec l’écoute des réseaux ennemis, en privilégiant ceux qui étaient codés, pour renseigner le commandement. La guerre de 1914-1918 a permis de tester pour la première fois ce jeu du chat et de la souris.
Ainsi, en septembre 1914, la victoire allemande à Tannenberg a-t-elle été servie par l’interception des liaisons que les états-majors russes échangeaient en clair. Elles donnèrent aux Allemands des informations sur l’intervalle grandissant entre les armées de Rennenkampf et Samsonov et permirent à Hindenburg de contre-attaquer victorieusement.
Sur le front occidental, le combat entre Georges Painvin et Fritz Nebel a été dantesque. Nebel s’évertuait à chiffrer les communications allemandes tandis que Painvin s’acharnait à casser les codes ainsi laborieusement mis au point. Le résultat est qu’au moment le plus critique de l’offensive allemande, en juin 1918, Painvin, en déchiffrant un message relatif aux priorités de logistique de l’armée de von Hutier, permettait de privilégier l’hypothèse d’une attaque en direction de Compiègne. Le général Pétain massait alors cinq divisions dans ce secteur. L’attaque fut brisée net, la route de la victoire était ouverte. À vrai dire, l’étude de ce cas constitue le clou du livre. Elle permet à l’auteur de faire revivre l’affrontement à distance de ces deux intellectuels et de mettre en scène leur rencontre à Paris en avril 1968. Le lecteur militaire sera sans doute plus intéressé par l’étude serrée de la valeur réelle des interceptions comme aides à la décision. Le bilan est contrasté mais il peut, dans certains cas, être décisif.
Un autre aspect du livre est l’utilisation des avancées technologiques pour faciliter la direction des opérations militaires. En Prusse orientale et en Picardie, les chefs militaires ont dû une partie de leur salut à l’utilisation des techniques les plus modernes de l’époque. Toutefois, on note que le commandement ne s’était pas, ou très tard, organisé pour bénéficier des progrès. Des adeptes du système D avaient bricolé une application militaire de ces balbutiements techniques. La qualité de leurs services avait, à la longue, convaincu leurs patrons qu’ils pouvaient s’appuyer sur eux pour confirmer d’autres renseignements ou orienter la recherche d’indices.
Sophie de Lastours aura encore fait mouche : exhumer le succès des casseurs de codes au moment où l’on parle de cryptologie sur l’Internet n’est pas dépourvu d’intérêt pour rappeler l’importance de la confidentialité des télécommunications. On la suivra sans détour : le chiffrement est un « outil », osons le mot, stratégique des gouvernements et des dirigeants, publics, militaires ou privés. Il participe à l’indépendance de décision de celui qui le détient.
Il est dommage qu’entre la relation bien individualisée de ces deux événements, l’ingéniosité de Painvin et l’imprudence des transmetteurs russes, l’auteur nous livre, en vrac, une série d’anecdotes qui auraient d’autant plus gagné à être ordonnées que certaines sont particulièrement intéressantes : le génie cryptographique des Austro-Hongrois, le décryptage des offres allemandes au Mexique contre les États-Unis en 1917, la « guéguerre » entre « spécialistes » français, les succès de Mata-Hari et les turpitudes de Marthe Richard. Une relecture trop rapide a aussi laissé quelques scories qui agacent le lecteur.
Quand elle aura corrigé ces imperfections, déjà constatées dans son Koutouzov et son Toukhatchevski, Sophie de Lastours s’imposera comme un historien militaire de référence. ♦