La Tentation allemande
L’auteur, maître de conférences à l’université Paris XII, nous livre ses analyses sous la forme d’un essai tant il est vrai qu’il ne s’agit pas d’une nouvelle histoire de l’Allemagne contemporaine. Son titre est volontairement ambigu : litote quand il a trait à la prétention allemande, avertissement dès lors qu’il dénonce notre propension, depuis Mme de Staël, à tout admirer de ce qui nous vient d’outre-Rhin.
Que la confiance n’ait jamais fléchi au sein de ce peuple plus fort que tous les désastres, nous en étions conscients. Nombre d’entre nous écartaient cependant l’idée qu’il pût encore sécréter des ambitions dont le sort des armes semblait l’avoir éloigné à jamais. Cet essai est là pour nous dessiller les yeux. Mme Bollmann nous décrypte les intentions réelles de notre voisin au moyen de ses discours, ses nostalgies, sa « perception quasi pathologique des frontières », ce qui la conduit à cette mise en garde : « Refuser de regarder ces choses en face, au nom d’une amitié qui n’a peut-être jamais existé, c’est laisser l’Allemagne faire l’Europe et défaire la France ». Nul procès d’intention en la circonstance, puisque les textes sont là pour étayer la thèse.
L’unité allemande recouvrée reste imparfaite et la Silésie devient aux yeux des Allemands une « Alsace de l’Est ». Du coup, l’élargissement de l’Europe vers les pays slaves ne pourra qu’entériner la fracture entre l’Europe romane et l’Europe germanique au profit de cette dernière, l’ancien chancelier Kohl allant jusqu’à parler de « l’avenir de l’Allemagne et de notre Europe ». L’Allemagne rêve d’abolir les frontières en prônant la création des « eurorégions » afin de revivifier « d’anciennes appartenances communes, de nature politique, ecclésiale et culturelle, bien antérieures aux frontières modernes des États », comme l’explique le directeur de la chancellerie de la Sarre.
Dans la poursuite de ces objectifs, l’Allemagne fonde beaucoup d’espoirs sur le mécontentement des minorités et sur le sort des réfugiés : ainsi a vu le jour en 1995 une académie de la Baltique ayant pour but de promouvoir L’Euroregio Pomerania, de même que la presse allemande souhaite la coopération entre la Sarre, la Lorraine et le Luxembourg au sein d’une région Sar-Lor-Lux. De la sorte, des territoires étrangers à la République fédérale seraient amenés à en servir l’intérêt national. Il est évident que, pour l’Allemagne, les frontières sont protéiformes, aléatoires, et il est courant de voir les Alsaciens considérés comme une minorité allemande au-delà du Rhin.
Comme le souligne Mme Bollmann, de « multiples signes indiquent qu’au plus profond de leur esprit, l’empiètement sur le territoire des voisins va quasiment de soi » : il suffit que l’Allemagne mette en avant la communauté de langue, l’ancienne appartenance aux provinces de l’Est, voire l’injustice faite aux réfugiés. Comme le martelait Helmut Kohl, « ce qui n’a pu être obtenu juridiquement parce que la conjoncture ne s’y prêtait pas, sera acquis géopolitiquement en jouant l’Europe ». Les motivations allemandes restent donc puissantes. Le peuple allemand existe actuellement réparti dans plusieurs États d’Europe, mais demain les « eurorégions », pallieront cet éparpillement. Toutefois, ne s’agit-il pas là d’une régression vers un modèle archaïque dont nous avait délivré la nation avec ses frontières linéaires ? Or, « les « eurorégions » permettent à l’Allemagne de prendre sa revanche sur l’histoire », nous affirme l’auteur. Ne convient-il pas dès lors d’être vigilant ? ♦