Puissances et influences, géopolitique et géostratégie à l’aube de l’an 2000
Dans une présentation claire, élégante, illustrée de cartes et de graphiques, la Fondation pour la recherche stratégique (1) et les Éditions Mille et une nuits nous proposent, pour un prix modique (moins de 100 francs), un panorama du monde à la fin du siècle. Vingt-cinq auteurs se sont partagé la tâche, ce qui donne autant d’instantanés centrés sur les grandes régions (Amérique, Russie, Asie, Europe et Proche-Orient, Afrique), les risques et menaces, les institutions supranationales.
Deux articles retiendront particulièrement l’attention par leur pessimisme bien venu. Nils Andersson, après avoir rappelé l’histoire chaotique du Kosovo, qu’exploitent des meneurs mal intentionnés, conclut qu’il n’y aura pas de paix dans ce petit pays tant qu’une pédagogie sérieuse — mais faite par qui et avec quels moyens ? — n’aura pas éclairé Serbes et Kosovars. Régis Blin, parlant des grands lacs africains, voit le Congo s’installer dans une partition entre l’Est et l’Ouest, ajoutant cependant que le caractère fantasque du président Kabila et de son bizarre allié Mugabé laisse la porte ouverte à d’imprévisibles péripéties.
L’abondance des textes met en mauvaise position le commentateur, contraint à la sélection. On nous pardonnera celle-ci. Zbigniew Brzezinski analyse avec pertinence l’exception américaine, regrettant que la politique étrangère soit le simple reflet des débats intérieurs, tout en constatant qu’il n’y a de choix, à l’heure actuelle, qu’entre la prépondérance des États-Unis et l’anarchie mondiale. Pour Isabelle Facon, qui traite de la Russie, l’urgence est, pour ce vaste pays, de retrouver le juste équilibre entre le pouvoir fédéral qui se délite, et celui des régions qui grandit. Jean-François Daguzan observe avec une lucidité attristée le blocage de la coopération méditerranéenne et la crise où le Maghreb s’enlise. Laurent Murawiec s’intéresse à la « révolution dans les affaires militaires », laquelle, en Amérique, est moins réflexion stratégique que soumission à la force des choses : Let’s do it ! James H. Anderson appelle l’Otan à s’en tenir à sa vocation de défense et à ne point se laisser distraire par les tentations de la « sécurité collective » en Europe. Paul-Ivan de Saint Germain s’interroge sur les perspectives qu’ouvre, dès maintenant, le foisonnement de « l’infosphère ».
S’élevant au-dessus de ces éclairages divers, François Géré et Gérard Chaliand s’efforcent à la synthèse. Le premier, s’inquiétant du vide immense créé par le délabrement de la Russie à la jointure de l’Europe et de l’Asie, pose néanmoins la question : « Est-ce vraiment pire qu’hier ? ». Pas du tout, lui répond le second, et n’écoutez pas ceux qui, chez nous, font profession de « vendre de l’angoisse ». On connaît le regard serein que Gérard Chaliand pose sur le monde d’aujourd’hui. On ne le suivra pourtant pas lorsqu’il affirme ne déceler, dans les conflits en cours, « rien de neuf » : en Europe les querelles yougoslaves, en Afrique les sombres affrontements du Rwanda, du Congo, du Liberia ou de la Sierra Leone constituent, dans l’horreur, autant de nouveautés. Le mérite de l’ouvrage est bien de nous en présenter quelques-unes.
Un regret, pour finir : le titre suggère une réflexion sur l’évolution actuelle du concept de puissance, que nous n’y avons pas trouvée. Que signifie, aujourd’hui, la puissance des nations ? Souhaitons que la Fondation nous donne bientôt, sur ce sujet majeur, sa réponse. ♦
(1) C’est le nouveau nom de la Fondation pour les études de défense, elle-même ex-nationale.