Repentance et réconciliation
La repentance est devenue un phénomène de société. L’Allemagne, le Japon, les anciens pays communistes de l’Europe de l’Est, l’Afrique du Sud, les États-Unis, l’Australie et beaucoup d’autres États s’interrogent sur un passé qui les hante. Dans la plupart des cas, ils sont confrontés à un cruel dilemme : faut-il oublier certaines atrocités et faire comme si tout cela n’avait pas eu lieu pour ne pas troubler les jeunes générations ? Au contraire, faut-il entretenir la mémoire de l’histoire et organiser des processus d’aveu et de réparation, donc de réconciliation ?
L’ouvrage de Philippe Moreau Defarges analyse en détail les raisons de cette nouvelle attitude. L’interrogation majeure porte sur la notion de culpabilité en politique. Au-delà de cette problématique, trois grands types de situations dominent en cette fin de XXe siècle : tout d’abord, les repentances spectaculaires, celles suscitées par l’extermination de la communauté juive, celles de l’Église catholique, soulevant inévitablement la question de leur sincérité et de leur vérité ; ensuite, les repentances indissociables d’un changement de régime et de ses contradictions, s’inscrivant dans des dynamiques de réconciliation nationale (Europe ex-communiste, Argentine, Afrique du Sud, Australie, Nouvelle-Zélande) ; enfin les repentances refusées (Japon, Turquie concernant le massacre des Arméniens). Dans cette dernière catégorie, beaucoup de commentateurs se demandent toujours pourquoi l’empire du Soleil-Levant n’a pas encore accompli « un cheminement d’interrogations, de repentance, analogue à celui de l’Allemagne ». Pourtant aux yeux de l’histoire, le Japon reste accusé de trois forfaits majeurs : le sac de Nankin en 1937 (l’armée impériale aurait massacré plusieurs milliers de Chinois) ; l’affaire des « femmes de confort » (une centaine de milliers de jeunes Chinoises et Coréennes utilisées comme prostituées par l’armée nippone) ; enfin, les travaux de l’unité 731 (Mandchourie) où plus de 3 000 personnes auraient servi de cobayes pour la mise au point d’armes bactériologiques. Selon certains spécialistes des questions asiatiques, le refus de Tokyo s’explique par des considérations culturelles : l’Occident reste guidé par la culture du péché et de la culpabilité, tandis que l’Asie est régie par la civilisation confucéenne de la honte, avec l’obsession permanente de la perte de face. Alors que les Allemands, traumatisés par leur responsabilité, éprouvent le besoin d’avouer leurs fautes afin de se libérer et d’être pardonnés, les Japonais tiennent à se taire et, par-dessus tout, veulent que les autres se taisent, l’enjeu n’étant pas la culpabilité devant Dieu, mais l’embarras et la honte publics. Ensuite, il y a Hiroshima et Nagasaki. Pour la nation nippone, ces deux cités détruites par l’arme atomique en août 1945 constituent les symboles du mal absolu, au même titre que Dachau et Auschwitz. Aujourd’hui, Hiroshima n’est plus seulement une ville japonaise ; elle est désormais reconnue dans toute la planète comme « La Mecque de la paix mondiale » (Fondation de Hiroshima pour la culture de la paix). Au vu de ce constat, pourquoi et comment un peuple victime d’un tel crime (ou plutôt de deux) devrait-il s’excuser et se repentir ?
Toute repentance se situe à la charnière de la morale et de la politique. Elle est rarement désintéressée. Elle est souvent le produit de calculs précis. Les vainqueurs, ceux qui sont sûrs de leur bon droit, ne se repentent pas. On ne s’excuse finalement que parce que l’on ne peut pas faire autrement ! Où est donc alors la sincérité ? La Grèce et la Rome antiques ne connaissaient pas la repentance. Étaient-elles pour cela pires que nous ? Toutes ces questions soulevées par l’auteur méritent une réflexion approfondie ; les éléments de réponse sont fournis dans l’essai qu’il nous propose. ♦