Naissance d’une civilisation
Ce petit livre nous vient donc de l’Unesco, avec la caution d’une phalange de « personnalités marquantes », comme l’annonce sans modestie excessive Jean Favier dès la préface. Il est articulé en douze courts chapitres, au cours desquels le récitant est interrompu par de brèves réflexions de ces brillants esprits.
Le sujet est tout à fait d’actualité et le constat parfaitement clair et complet : la mondialisation « touche tous les aspects de la vie personnelle et collective ». Le lecteur en découvre ou redécouvre au fil des pages les effets plus ou moins évidents et connus, comme l’abandon de la « centralité du travail », la « tension nouvelle des rapports humanité-nature... devant la fragilité de la biosphère » ou la conception de l’éducation comme « un processus continu » par lequel « les références acquises dans l’exercice des responsabilités (doivent prévaloir contre) la référence des diplômes initiaux ». L’exposé de la réaction contre le scientisme nous a semblé particulièrement pertinent : « La philosophie de la certitude cède la place à celle de l’incertitude... toute recherche de solution est par nature interdisciplinaire » ; aux hiérarchies sectorielles doivent succéder des organisations horizontales, transversales, interministérielles... les « hommes-carrefours » sont plus précieux que les experts cantonnés dans leur spécialité ; par ailleurs, « science et éthique sont condamnées à marcher ensemble, la science aidant l’éthique à ne pas se perdre dans l’irrationnel, l’éthique aidant la science à définir les limites » ; finalement, « Pascal l’emporte sur Descartes » et « les Lumières s’estompent ».
Fort bien, mais les auteurs ne s’en tiennent pas à cette description et la forme du titre est révélatrice, Naissance d’une civilisation en gros caractères écrasant le petit appendice « le choc de la mondialisation », au lieu de l’inverse. La conséquence se trouve dominer la cause. Autrement dit, les savants professeurs imposent leurs déductions et assènent leurs conclusions après avoir insisté sur la fluidité de l’évolution et l’évanouissement des certitudes. Non seulement la mondialisation est pour eux « inexorable », mais elle est présentée comme « positive ». Elle entraîne à leurs yeux une « mutation de civilisation » (et même une « rupture » selon le directeur général Federico Mayor). La « métamorphose » est jugée acquise ; « la refuser est impossible ». Il n’y a plus dès lors qu’à procéder à « l’apprentissage du public », à lui enseigner des techniques grâce à l’action de petites équipes de pionniers « distincts de la masse, exceptionnellement doués »... Suivez mon regard ! Et malheur à qui, tombant dans « la nouvelle forme d’illettrisme (de ceux) qui ne sont pas familiers avec l’emploi des nouveaux outils de traitement de l’information » ne sera pas devant son écran à utiliser cet « anglais fruste... bas latin de notre époque » et à écouter les messages issus des « programmes remarquables » des organisations internationales, avec tout juste l’autorisation de se distraire par la pratique des langues régionales et de verser une larme au souvenir de l’« État-nation, simple expression d’une phase de transition ». On s’inquiète à la limite, in fine, du risque d’uniformité et d’« alignement des mœurs et des cultures (face à) la richesse de la diversité » et on nous assure que « la mondialisation ne sera réussie que si elle conduit à un monde multipolaire ».
On ne nous a jamais autant parlé de démocratie. Les aristocrates ne pourraient-ils au moins faire semblant, après s’être penchés sur le berceau du futur, de laisser au citoyen moyen la possibilité d’adapter une autre attitude, à coup sûr condamnable, que de se borner à obtempérer ? ♦