La virilité en Islam
La virilité en Islam, voilà un bien bel objet ! C’est à son étude que se sont appliqués quinze auteurs, dix hommes et cinq femmes. Qu’on y relève au moins huit Orientaux accroît notre curiosité. Il nous faudra pourtant consentir un effort : le propos des auteurs est savant et subtil, ce qui est bon ; il tourne parfois au parler psychanalytique qui est, de tous les jargons, l’un des plus repoussants. Passons là-dessus, l’objet, répétons-le, en vaut la peine.
Le culte que les Arabes vouent à la virilité revêt deux aspects. Le premier, honorable, est la muruwwa des Bédouins, dont les vertus, force, courage et honneur, sont celles que les militaires de tous les pays apprécient. Le second, perversion méprisable de la muruwwa, est le machisme ordinaire.
Sur le machisme arabe on retiendra ici trois thèmes, qui font trois chapitres du livre : la nuit de noces, le paradis, le voile des femmes. La nuit de noces traditionnelle, « défloration rituelle » et quasi publique que nous présente Adel Faouzi, est une horreur. C’est le mépris de la femme mis en scène, mis en acte, sous la surveillance étroite du voisinage. Les deux acteurs sont à l’épreuve, l’épouse doit témoigner de sa virginité, l’époux de sa virilité. On ne s’étonnera pas que quelques maris délicats s’y révèlent défaillants. Toujours pratiqué en milieu rural, le rite indécent et cruel l’est heureusement moins en ville. Il répugne beaucoup aux intellectuels.
Le plaisir sensuel – du moins celui de l’homme – est en Islam un don de Dieu, dont il faut profiter. Il annonce les délices qui attendent le juste au paradis d’Allah. Dans l’au-delà, selon les descriptions qu’en font les auteurs arabes et que rapporte Aziz Al-Azmeh, le désir du mâle est formidable, sans cesse renaissant, sans cesse satisfait par des dizaines de vierges retrouvant, aussitôt déflorées, une nouvelle virginité. Pourtant – et le chrétien, déjà perplexe, se scandalisera –, ces galipettes paradisiaques ne sont que prélude à la félicité suprême : la contemplation de la Face de Dieu.
Le voile des femmes nous ramène en France, à la querelle qu’il a soulevée et aux efforts méritoires de nos ministres pour s’en dépêtrer. Fethi Benslama y consacre un chapitre fort intelligent. Il rappelle que le hijab est protection de la femme contre le harcèlement sexuel des machos. Pour le musulman, c’est le corps féminin, provocant, qu’il faut dissimuler ; pour le Français, c’est le voile qui provoque, signe ostentatoire qu’il faudrait interdire. Ces visions opposées éclairent le refus islamique des droits de l’homme : dans notre Déclaration, la distinction homme-femme se dissout, « la différence sexuelle (est) l’une des discriminations qu’elle veut supprimer ».
Le détournement de la vertu virile en machisme est patent dans les sociétés musulmanes. C’est en politique qu’il exerce les plus grands ravages. Nadia Tazi les expose crûment. Citant Khomeyni, Boumediene, Kadhafi, Saddam Hussein, elle stigmatise tous ces zaïms, « souverains sinistres » que le peuple voit comme « élus du Destin ». Le moudjahid, combattant dans la voie de Dieu, et le chahid, martyr mort au combat, sont les héros modèles. L’indignation de Nadia Tazi nous touche d’autant plus qu’elle prend l’Algérie pour champ de ses observations. « Dans un pays tout proche, écrit-elle, un rideau de mort entre les sexes est tombé ». Avec les assassins du GIA, le viril prend une autre dimension : c’est « le saut dans l’extrême », dont l’égorgement est le symbole. « L’égorgement est pour les musulmans, entre tous, le geste innommable qui condense le sacré ». Le fanatique nie l’humanité de celui qu’il immole. « Ainsi est fondée, pour les temps à venir, l’horreur infinie que le rituel abrahamique est supposé conjurer ».
Ce livre à plusieurs voix est un riche patchwork. Il y a plus léger que ce qu’on vient de citer. On conseille au lecteur lassé une Lettre d’Orient écrite dans le style charmant des épistoliers du XVIIIe. ♦