Le Temps des gringos / Quand la Californie était française
Un peu à contre-courant de l’actualité littéraire, deux livres récents viennent rappeler les circonstances de l’agrandissement à l’ouest des États-Unis. Ils mettent en lumière le rôle que des Français et des Franco-Canadiens ont pu y jouer.
Vers 1840, le Texas était indépendant entre des États-Unis en extension et un Mexique aux dimensions alors continentales. Son autonomie à l’égard de Washington était cependant toute théorique. Elle n’avait été proclamée que pour faire accepter par Mexico la perte de ce territoire en 1836, à la suite des manœuvres de colonisation des Américains. Cette défaite soulignait d’ailleurs que le Mexique exerçait avec de grandes difficultés sa souveraineté sur les parties les plus septentrionales (Nouveau-Mexique, Arizona, Californie) de son empire. Cela explique qu’en 1846, après avoir intégré formellement le Texas, les États-Unis ont conquis le Nouveau-Mexique en quelques semaines. Pendant cette décennie troublée, des Français se sont distingués au service des deux pays. Des trappeurs ont tenté de contrôler, pour le compte des Mexicains, d’immenses territoires inaccessibles à la tutelle réelle de Mexico. Les Américains, de leur côté, avaient recours à des Français installés de longue date (commerçants, prêtres ou chasseurs) pour leur connaissance du terrain et la qualité de leurs relations avec la population indigène.
Quatre ans plus tard, la ruée vers l’or amenait des dizaines de milliers de Français en Californie qui, à cette époque, dépendait encore nominalement du Mexique. La plupart de ces émigrants étaient d’anciens adversaires des journées insurrectionnelles à Paris en février et juin 1848 : gardes nationaux et républicains levés dans les faubourgs pour réprimer les émeutes, et révolutionnaires déçus. En novembre 1850, on vit même débarquer une compagnie de gardes mobiles en uniforme, arme sur l’épaule, clairon et drapeau en tête. Ces contingents successifs représentèrent jusqu’au quart des habitants de San Francisco, ce qui finit par inquiéter le gouvernement américain quant aux intentions réelles de la France. L’appréhension de Washington était d’autant plus justifiée que ces aventuriers n’hésitaient pas à prendre les armes pour affirmer leur liberté à l’égard des autorités locales. Cette population comptait quelques fortes personnalités qui eurent tôt fait de comprendre que ces contrées leur offraient les occasions politiques que la vieille France leur avait refusées. Le marquis de Pindray et, surtout, le comte de Raousset-Boulbon, rapidement à l’étroit sur les terres californiennes, cherchèrent en 1853 et 1854 à se tailler un empire en Arizona. Leur objectif explicite était de créer un État tampon entre les États-Unis et le Mexique afin de contenir l’extension américaine. Le courage des troupes qu’ils avaient enrôlées permit effectivement d’infliger des défaites à l’armée mexicaine. Toutefois, l’hostilité de Washington à ces tentatives et l’absence de réaction de la France, alors occupée à d’autres projets politiques, condamnaient ces entreprises.
Ces deux ouvrages, dans des genres différents : roman américain et chronique de voyage, soulignent le rôle joué indirectement par des Français dans l’extension de la souveraineté américaine au détriment du Mexique. Ils offrent, en tout cas, des exemples intelligents et accessibles d’une géopolitique vivante. ♦