Les dollars de la terreur. Les États-Unis et les islamistes
Le spectre du fanatisme religieux hante le monde contemporain. Sur fond de difficultés économiques et sociales, des idéologies théocratiques ont déclaré une guerre froide aux démocraties. Fanatismes chrétien, juif et musulman multiplient sectes, associations occultes et organisations criminelles. Ces dérives n’ont rien à voir avec les principes de tolérance et de quiétude qui sont prônés par les religions. Les « possédés de la foi » ont un objectif commun : « la fin de la séparation de l’Église et de l’État, du politique et du religieux, de la croyance et de la citoyenneté ». Dans leur folie hystérique, ces sujets diaboliques prêchent des idéologies de non-intégration.
Dans ce registre, les islamistes sont devenus les maîtres dans l’art de cette manipulation à l’échelon planétaire. Pour imposer leur philosophie, ils utilisent la violence. Cette furie vise essentiellement les Occidentaux, en particulier les Américains. Cet extrémisme s’est notamment exprimé à l’occasion des attentats odieux qui ont été perpétrés contre les ambassades américaines à Nairobi (Kenya) et à Dar es-Salaam (Tanzanie) le 7 août 1998. Ces actions épouvantables ont déclenché une multitude d’études sur ce phénomène qui perturbe nos sociétés. Toutes les analyses aboutissent à la même conclusion : le nerf de l’islamisme n’est pas la religion, c’est l’argent. Richard Labévière, journaliste à la télévision suisse romande, va même plus loin. Le financement des islamistes radicaux est paradoxalement parrainé par les Américains.
L’ambiguïté des relations entre les États-Unis et le monde musulman a commencé en 1931 avec le Pacte du Quincy. L’accord conclu sur le navire américain entre le président Roosevelt et le roi Ibn Séoud a marqué le début d’une alliance particulière entre les États-Unis et l’Arabie Séoudite dans laquelle les Américains se sont engagés à assurer la protection et la sécurité du royaume wahhabite en échange de pétrole. Pour Washington, la stabilité de la péninsule Arabique fait partie des « intérêts vitaux » des États-Unis. Le partenariat économique, financier et finalement géopolitique qui continue à lier les deux pays repose sur un principe commercial : les Américains poursuivent leurs achats d’hydrocarbures séoudiens en échange de livraisons d’armements. Cette connivence scellée il y a près de soixante-dix ans à bord du Quincy a instauré une donnée majeure dans l’histoire des relations internationales. En évinçant l’influence britannique, ce pacte a promu durablement les États-Unis comme acteur dominant dans le jeu proche-oriental, au détriment des États européens. L’intervention massive de l’armée américaine dans la guerre du Golfe est d’ailleurs une mise en œuvre de cet accord historique. Dans cette complicité politico-économique, les États-Unis ont cependant été les dindons de la farce, car l’Arabie Séoudite occupe une place importante dans le financement des mouvements islamistes contemporains, non seulement au sein du monde arabo-musulman, mais aussi en Afrique, en Asie et en Europe. Dans son ouvrage, Richard Labévière veut ainsi nous démontrer que les Américains financent indirectement des groupuscules dangereux qu’ils prétendent combattre.
La naïveté américaine s’étend à l’Afghanistan. Pour aider les Afghans à chasser les Soviétiques qui avaient envahi leur pays en décembre 1979, les services américains ont fourni des armes et des instructeurs aux guérillas locales. Or après le retrait de l’armée rouge de ce point chaud du globe, les extrémistes afghans, formés et armés par les Américains, ont continué à se battre dans d’autres contrées de la planète pour exporter la révolution islamiste. Des missiles sol-air Stinger livrés dans les maquis afghans ont ainsi été repérés en Corée du Nord, au Yémen, au Liban et au Soudan. De même, c’est la CIA qui a « engagé » Oussama Ben Laden pour recruter des « volontaires arabes » dans la lutte contre l’envahisseur soviétique. Quelques années plus tard, le milliardaire séoudien sera soupçonné d’être le commanditaire des attentats de Nairobi et de Dar es-Salaam et deviendra l’ennemi public numéro un des États-Unis. Pour l’auteur, les Américains ont ainsi indirectement fabriqué leurs propres ennemis. L’affaire est grave, car aujourd’hui les « nouveaux Afghans » opèrent dans le monde entier contre les intérêts occidentaux. Ils ont redéployé leurs sanctuaires internationaux en Algérie, dans le Sud des Philippines et dans certains foyers géographiques de l’Indonésie. Le financement de leurs réseaux est notamment assuré par le trafic de drogue, le blanchiment de l’argent dans les paradis fiscaux et le puissant consortium d’investissements DMI (Dar al- Mal-Islami) qui a son siège à Genève. DMI est composé de diverses institutions financières et représenté par des filiales dans une dizaine de pays (Bahreïn, Pakistan, Turquie, Danemark, Guinée, Sénégal, Niger, Luxembourg). La fondation est également l’un des actionnaires principaux de la banque AT Limited, la banque des Frères musulmans d’Égypte, qui occupe, elle aussi, une place capitale dans le financement de nombreuses organisations islamistes. Le « Dieu réel » qui se cache derrière le « Dieu illusoire » de l’idéologie islamiste n’est autre que la finance et les affaires. Ces deux notions se fondent désormais dans les circuits économiques « mondialisés » et incontrôlables. Cette évolution porte gravement atteinte à « la sauvegarde d’un espace public républicain » où peuvent cohabiter différents modes de pensée et croyances. C’est le message important de ce livre captivant. ♦