Un monde nouveau
À la veille de quitter son mandat, Federico Mayor a eu la louable intention de dresser un bilan des principales questions de la planète : entreprise téméraire qu’il a menée avec la collaboration de Jérôme Bindé, chef de l’Office d’analyse et de prévision de l’Unesco et des principaux membres de son équipe. Le tout s’apparente plus à un rapport presque exhaustif qu’à un ouvrage de réflexion personnelle. Au surplus, il mêle analyse objective des faits et propositions intitulées « pistes et recommandations », dont le caractère trop général peut prêter aisément le flanc à la critique. Telle est la loi du genre.
Cela dit, Un nouveau monde, au-delà de son titre accrocheur, m’est apparu comme une remarquable analyse de la plupart des grandes questions mondiales auxquelles nous sommes confrontés, abordées en quatre chapitres qui reconstituent l’armature de notre système planétaire.
Le premier est celui de l’homme dans son cadre de vie immédiat. Comment répondre aux véritables défis que restent l’expansion démographique et le scandale de la pauvreté et de l’exclusion ? Concernant la démographie, on le sait, un plus grand optimisme règne au sein de la communauté des experts : l’Onu a révisé en baisse ses prévisions moyennes pour 2025 et 2050. Partout on a assisté à une baisse de la fécondité due à l’essor de la scolarisation des filles, passée de 59 % à 76 % de 1960 à 1995, et à la planification familiale. Cette amélioration ne doit pas nous faire croire que la fameuse bombe démographique a disparu. D’ici 2015, la population mondiale pourrait augmenter de 1,4 milliard, provenant à 90 % du Sud, posant de redoutables problèmes alimentaires, d’aménagement urbain, de développement, de pauvreté et d’emploi comme de pression sur les ressources naturelles. La plus grande partie de cette population se dirigera vers les villes (les taux d’urbanisation du Tiers-Monde passant de 37 à 45 %), d’où la nécessité de repenser le cadre urbain, les transports, de les rendre plus sûrs, plus efficaces, plus économes.
Les inégalités croissent (en 1976, le revenu moyen de l’Américain était 56 fois supérieur à celui des pays les plus pauvres ; en 1996 il l’était de 82 fois), la pauvreté absolue (moins de un dollar quotidien) touche un milliard de personnes, et même deux si on élève la barre à 2 dollars par jour. Le constat est désespérant, mais que propose-t-on en dehors de l’annulation de la dette des pays les plus pauvres ou de mesures dont la panoplie a été définie depuis des décennies ?
Le deuxième chapitre porte sur l’environnement naturel, la science et le développement. C’est bien sûr la question de l’environnement planétaire (réchauffement, effet de serre, émissions de CO2), de la désertification qui touche directement 250 millions de personnes et en menace un milliard, les zones arides et semi-arides représentant 40 % de la surface terrestre, de la menace du « stress hydrique », perceptible lorsque la ressource naturelle tombe en dessous de 1 000 m3 par habitant et par an. Fait prometteur : la sous-alimentation devrait progressivement diminuer jusqu’en 2025, du fait de l’accroissement des rendements, de l’apport des technologies, de la redistribution des populations et des importations. Quant au bilan énergétique (d’ici 2010 la part du Tiers-Monde devrait passer de 27 à 40 % de la demande mondiale), il paraît pouvoir être assuré grâce à une plus grande sobriété et à la montée des énergies de substitution (hydroélectricité, gaz et hydrogène) ou renouvelables.
Le troisième chapitre évoque la société de l’information, dont Federico Mayor aimerait qu’elle se muât en société de la connaissance. L’Internet, comme jadis l’ordinateur aux pieds nus, paraît ouvrir des champs infinis aux systèmes éducatifs, aux entreprises et aux individus, à condition d’être mis à la portée de ceux-ci sans que le fossé existant ne se creuse encore. Que l’on aimerait que les inforoutes soient accessibles à tous, que de nouvelles frontières de la recherche et de l’éducation soient ouvertes ! Utopies ou menaces ? Espoirs ou potentialités ? Quel est l’avenir du livre, lorsque l’on sait que les grands conglomérats américains s’en désintéressent au profit des nouveaux médias ? Près de 900 000 titres sont publiés chaque année, la vielle Europe, avec 9,3 % de la population en produisant 58,9 %, l’Afrique 1,5 % avec 12,3 % de la population : il y aurait fort à parier qu’il s’agit essentiellement de l’Afrique du Sud dont le PNB pèse 12,5 fois celui du second pays d’Afrique subsaharienne, le Kenya. Société d’information, mondialisation, pénétration des nouvelles technologies ne sont pas toujours neutres : au moins la moitié des 5 000 à 6 700 langues parlées actuellement dans le monde risquent de disparaître d’ici la fin du XXIe siècle. Peut-on arrêter ce processus d’appauvrissement ?
Dans ces conditions, dernier thème de l’analyse, quelles sont les raisons d’espérer ? Le miracle africain, c’est-à-dire un processus de croissance entretenu d’au moins 5 % l’an, ce qui nécessite la maîtrise du sida (2,2 millions de victimes par an), la fin des guerres civiles, des interventions et de la violence, la formation de démocraties plus solides, aura-t-il lieu ?
La planète touchera-t-elle les dividendes de la paix ? Le système des Nations unies pourra-t-il être réformé pour être plus efficace ? On peut en douter, mais il était du devoir du directeur général de l’Unesco de nous avoir donné des raisons d’espérer et d’avoir esquissé bien des voies conduisant à un avenir meilleur. ♦