Ce texte est à la fois un diagnostic de la crise actuelle et de l’empêchement stratégique qu’elle provoque et un plaidoyer pour la reconstruction d’un projet collectif de destin commun pour nos sociétés. Constatant que le monde se défait et que l’individu se débarrasse des organisations qui avaient permis le progrès des derniers siècles, l’auteur propose un nouveau compromis permettant d’assigner une ambition collective à un État relégitimé.
Pour un compromis stratégique !
Towards Strategic Compromise!
This text is at the same time a diagnosis of the current crisis and the strategic hold-up that it prompts as well as a plea for the reconstruction of a collective project of common destiny for our societies. By stating that the world is coming undone and that the individual is shrugging off the organizations that permitted the progress of the last centuries, the author proposes a new compromise that would permit us to assign a collective ambition to a re-legitimized State.
L’impression dominante depuis le début de ce siècle, largement renforcée par la crise financière et économique de ces dernières années, est celle de l’« impuissance ». Plus on évoque la multipolarité, l’émergence de nouveaux acteurs, la mondialisation économique, les réseaux sociaux, la régulation, etc., plus on se rend compte de l’inadaptation des États, des systèmes, des organisations, à intervenir efficacement dans les complexes et cruciales « affaires » du monde, à peser sur l’avenir de sociétés abandonnées à elles-mêmes, c’est-à-dire aux divers « individus » qui les composent. Ainsi ce monde paraît-il sans gouvernance sérieuse, sans système économique solide, sans sociétés stables et assurées de leur destin. Il semble flotter dans une sorte d’incertitude ou d’« indétermination absolue », selon l’expression de Myriam Revault d’Allonnes (1). Si elles figurent parmi les marqueurs principaux de la situation d’une exceptionnelle gravité dans laquelle nous sommes englués, l’impuissance comme l’incertitude sont également des caractéristiques du vide stratégique que décrit Philippe Baumard (2). Dans ces conditions, privé des moteurs de l’action que représentent des finalités objectives – donc des certitudes et des volontés d’y parvenir – et des capacités d’agir, notre système-monde, celui qui sous-tend certaines formes de civilisations en vigueur, en grande partie déstructuré et fortement désemparé, non seulement est voué à cette « crise sans fin », mais, au-delà, se condamne à une mort clinique.
Or, qu’on le veuille et qu’on agisse ou non, le monde est en cours de transformation accélérée, mue par des forces convergentes d’une exceptionnelle énergie ; sans pilotage qui lui rende une direction, cela ne peut conduire qu’au chaos.
Toute pensée stratégique qui permettrait de redéfinir les axes d’une démarche fondée sur ses deux bases – des objectifs et des moyens – est aujourd’hui rendue impossible, voire inimaginable. Comment en effet – sans objet ni méthode – se mettre au travail dans un tel brouillard ? D’autant que l’actualité impose quotidiennement son lot d’informations, essentielles, mais dérangeantes, toutes urgentes et parfois contradictoires, et qui interdisent de s’élever au-dessus de l’immédiat.
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