Atlas des conflits fin de siècle ; années 90 : guerres d’identité, guerres de pauvreté
Un atlas se veut un ouvrage pédagogique, à base de cartes, destiné à expliquer clairement des situations pour le moins complexes. Les Éditions Autrement, depuis une quinzaine d’années, nous offrent la version française d’atlas géostratégiques réalisés principalement en Angleterre. L’Atlas des conflits fin de siècle est ainsi l’ultime production de cette intéressante série. Or, si l’ensemble de l’ouvrage est, au premier abord, de bonne facture, on ne peut qu’être déçu, en dernière analyse, par le ton général de cet atlas. À côté de points très positifs, les raccourcis trop simplificateurs ou les synthèses abusives sont légion. Dommage.
Pour les auteurs, les conflits actuels peuvent être classés schématiquement en guerres d’identité et de pauvreté. De ce fait, en cette fin de siècle, les affrontements majeurs entre États — hormis la guerre du Golfe — sont une exception. Le drame, ce sont les guerres civiles marquant une régression certaine pour la civilisation par rapport à l’organisation bipolaire du temps de la guerre froide, facteur d’une relative stabilité.
L’atlas est organisé en cinq chapitres. Dans le premier, intitulé « Les dynamiques de guerre », les guerres entre 1990 et 1995, au nombre de 95, ont tué 5,5 millions de personnes. Ce sont les guerres civiles qui sont les plus nombreuses. Remarquons ici que l’Italie et l’Espagne connaissent, selon les auteurs, une telle guerre. À propos de ce dernier pays, à aucun moment ne sont évoquées les 800 victimes de l’ETA. Dans la même veine, les pays de l’Union européenne, hormis les pays scandinaves, sont classés au même rang que la Mongolie, la Mauritanie ou Cuba quant aux mauvais traitements infligés par la police. Par ailleurs, l’analyse ethnique semble curieuse : la Russie serait plus homogène avec ses populations minoritaires que la Suisse ou l’Espagne.
Le deuxième chapitre, « Guerres d’identité, guerres de croyance », offre de bons schémas sur l’épuration ethnique en Yougoslavie, les conflits du Caucase dont la complexité ethnique et religieuse est à souligner, et les difficultés du sous-continent Indien. Par contre, l’analyse des mouvements islamistes est très partielle. Curieusement, on ne parle pas du terrorisme islamiste en Europe et tout particulièrement en France.
Dans la troisième partie, « Guerres de misère, guerres de pouvoir », ce sont les anciennes puissances coloniales qui sont responsables du chaos actuel en Afrique. « L’Afrique de l’Ouest ne s’est pas relevée de la domination européenne » ou encore « on continue à traiter les pays africains comme des colonies ». De tels raccourcis n’apportent rien ou plutôt révèlent une certaine vision idéologique des relations internationales.
Le « Monde militarisé » constitue la quatrième partie. Vingt-trois millions de personnes sont enrôlées dans des armées. On peut se poser néanmoins une question sur les conclusions que tire l’auteur sur la place des femmes dans les armées. La féminisation importante concerne principalement les pays les plus développés. Il ne s’agit donc pas d’une militarisation de la société, mais plutôt d’une adaptation de la société militaire à la place de la femme dans la société civile. Quant aux dépenses militaires, là encore la carte est trop simplificatrice : si le budget militaire du Portugal a légèrement augmenté sur une période de dix ans, on ne peut comparer cette hausse avec celle du budget militaire de la Chine. La carte de la menace NBC est également très réductrice et confuse. De la même façon, si l’idée de dresser une carte des décharges nucléaires est judicieuse avec une inquiétude légitime sur le territoire russe bien sûr, Mururoa, où « il existe de graves fuites de radiation en provenance de l’atoll », figure en bonne place.
Le dernier chapitre s’intitule « Les dynamiques de paix ». Il est de loin le plus réussi. Le bilan des actions de l’Onu est moins négatif que l’on croirait. Cependant, l’auteur constate que les forces de l’Organisation, souvent faiblement armées, ont des difficultés pour préserver la paix, tandis que sur une autre carte les ONG sont présentées comme parfois plus aptes à résoudre les conflits.
Quant à la bibliographie, il faut constater que 99 % des titres cités sont d’origine anglo-saxonne ou scandinave. Aucun document de l’Union européenne ou encore des instituts de recherches stratégiques français n’apparaît dans la liste. Cette absence montre le peu de cas qui est fait de l’espace francophone et reflète comme l’ensemble de l’ouvrage une vision très unilatérale.
Cet atlas, bien qu’intéressant, est trop orienté et s’appuie sur une vision très marquée par l’influence des ONG. Trop de simplifications, trop de parti pris idéologique, et une cartographie réductrice laissent une impression plus que mitigée. En outre, l’utilisation systématique d’une méthode typologique pousse à l’amalgame et à des conclusions surprenantes et hâtives. De fait, c’est bien la diversité des conflits qu’il faudrait expliquer. Vouloir à tout prix faire une synthèse constitue une erreur dont les conséquences pratiques peuvent obliger au pire une ONG à quitter une zone d’action mais qui, dans le cas de pays comme la France, peuvent se révéler beaucoup plus dramatiques comme l’a montré le terrorisme ces dernières années. ♦