Après avoir été porté au pinacle, Henry Kissinger est aujourd'hui en butte aux critiques de ses compatriotes. Le « magicien de la paix » ne suscite pas moins de scepticisme dans certaines capitales étrangères où l'efficacité de sa méthode des « petits pas » est mise en doute. Mais la connaît-on bien ? En a-t-on saisi le sens profond ? Son étude est entreprise ici par l'auteur, à l'aide des trois cas concrets constitués par le Vietnam, le Proche-Orient et Chypre. Il démonte ainsi le mécanisme de cette sorte de « chorégraphie de la négociation » dont la philosophie est finalement plus profonde qu'il n'y parait.
Henry Kissinger et la diplomatie de crise
Contesté à Washington par un Congrès imprégné d’un idéalisme « wilsonien » naguère décrié, confronté à Moscou à la détermination des dirigeants soviétiques d’écarter toute ingérence dans leurs affaires intérieures, Henry Kissinger éprouve désormais de grandes difficultés dans la poursuite de son entreprise diplomatique. Sur les lieux mêmes qui permirent au secrétaire d’État de déployer son art de la négociation, les difficultés s’accumulent. Au Vietnam, la « troisième guerre d’Indochine » semble déjà commencée ; la Commission mixte bipartite a cessé de fonctionner ; le Conseil de réconciliation n’a pu être établi ; les mois de « cessez-le-feu » ont fait plus de victimes vietnamiennes que d’américaines pendant le conflit. Au Proche-Orient, les espoirs de paix suscités par les accords de dégagement de 1974, après avoir fait place à un climat de guerre froide, semblent renaître avec le récent voyage du secrétaire d’État dans les cinq capitales de la région. Mais les progrès enregistrés par la méthode des « petits pas », de même que la réanimation probable de la Conférence de Genève, ne sont-ils pas menacés par les positions en flèche de certaines des parties qui agitent le spectre d’un « sommet du refus » ?
Est-ce la méthode « kissingerienne » qu’il faut condamner ? Après avoir chanté les succès du secrétaire d’État, les commentateurs se font parfois censeurs : « Sa hâte à conclure favorise sans doute les règlements des conflits locaux. Mais le temps lui a manqué pour « visser » les accords. Il leur arrive de se défaire… ». En réalité, l’ambiguïté, l’inachèvement semblent, souvent, volontaires : ils s’inscrivent dans une perspective de règlement progressif des conflits — des solutions toujours provisoires et soumises à révision permettant de mettre le cours du temps au service d’une volonté de conciliation.
Dans la progression d’une négociation, l’ambiguïté des accords partiels successifs permet de voiler les divergences et laisse aux deux parties la possibilité de satisfaire à leur besoin de prestige et aux nécessités de leur politique interne : passer outre aux problèmes controversés, dans le texte de l’accord, facilitera leur solution pratique. Encore importe-t-il que les parties qui s’affrontent parviennent à « relativiser » leurs positions ; et que les Supergrands ne négligent pas les impératifs de la coopération-compétition.
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