Gouverner c’est paraître
« Commander, c’est prévoir » enseignait-on dans les écoles militaires. Le libellé du titre est ici renforcé d’emblée : « Le pouvoir appartient aux plus apparents ».
Ce petit livre, rédigé par un auteur qui sait de quoi il parle (il est notamment membre du Conseil supérieur de l’audiovisuel) repose sur le postulat audacieux, mais après tout fort vraisemblable, selon lequel nos gouvernants et nos représentants dépendent de deux sources de légitimité, l’élection et la communication ; et comme cette dernière est dominée par un moyen tout-puissant, la télévision, la seconde légitimité est baptisée carrément « cathodique » : « Sans accès à la télévision, la cause est perdue d’avance ». Or les deux légitimités ne progressent pas forcément en parallèle ; elles peuvent être divergentes, voire antinomiques dans un système actuel que Jean-Marie Cotteret estime anarchique et irrationnel. Déformation professionnelle ou pas, il a tendance à privilégier la légitimité cathodique, dans la mesure où l’élection n’est qu’un dialogue intense, mais bref, et ne fournit à l’électeur guère d’explications — et encore moins de garanties — sur ce que sera l’action du candidat une fois installé dans son fauteuil. L’élu a affaire à deux cibles différentes : ses collègues de l’hémicycle vis-à-vis desquels il se doit de raisonner et d’argumenter à l’école d’Aristote ; ses électeurs qu’il lui faut émouvoir dans un style qui rappelle le « discours amoureux » (référence à ce cher Barthes qui s’y connaissait en érotisme). La communication télévisée est forcément brève et s’adresse globalement à un public hétérogène. Pour que « la clé soit adaptée à la serrure », le message est par obligation réducteur et simplificateur, axé sur « le plus petit commun dénominateur », selon les règles du « marketing politique », soufflées par de savants conseillers qui ne répugnent pas à donner dans le slogan sommaire et « banal » du genre de « la force tranquille ».
L’auteur décrit clairement et de façon synthétique le cadre institutionnel dans le premier chapitre, ainsi que, plus loin, l’organisation gouvernementale de la communication en France. Nous avons moins bien saisi au fil de l’ouvrage des analyses fouillées, parfois répétitives, sur le discours politique ou sur l’exercice du pouvoir et nous avons quelque peu peiné sur des distinctions subtiles entre classe, personnel et milieu politiques, ou sur des schémas relatifs à la « superposition des systèmes de valeurs », dont on peut se demander s’ils sont trop simples au point d’être inutiles, ou s’ils cachent une complication accessible aux seuls spécialistes. Nous avons préféré, plus concrètement, les formules du praticien sur le « mélange de séduction, de sérieux avec une touche d’humour et un fond de compétence » qui caractérise la prestation télévisée réussie ; les considérations du spécialiste sur l’« échelle de notoriété » ; l’allusion de l’humoriste à la chirurgie esthétique, ou encore le parallèle du politologue sur les « cas d’école » que présentent les deux acteurs que furent de Gaulle et Mitterrand, experts dans l’art de dire tout et son contraire et de se sortir des mauvais pas par le recours à la « corde sensible ».
Faut-il suivre aveuglément l’auteur ? Le retour des journalistes, membres d’une « profession puissante composée d’individus fragiles », au simple énoncé des faits sans s’octroyer le droit de juger ni de « jouer le rôle des clercs au Moyen Âge », serait sans doute une bonne chose et les réflexions sur la grève des services publics paraissent pleines de bon sens. Cependant, n’est-ce pas être prisonnier de sa propre science que de faire dépendre des stratégies de communication la « nouvelle légitimité élective » de Mitterrand en 1988 ou la « dissolution-boomerang » du printemps 1997 ? Quant aux propositions finales, pour dignes d’intérêt qu’elles soient, beaucoup d’entre elles n’ont qu’un rapport discutable avec le domaine traité. De telles réformes suffiraient-elles au demeurant à faire sortir la « Politique d’aujourd’hui » (titre de la collection) du « monde de l’apparence » peuplé d’intrigues et de manipulations ourdies par l’homo cathodicus ? C’est douteux, le pessimisme l’emporte et on garde en mémoire cette constatation amère : « Les victoires les plus tapageuses se sont faites sur des images et des discours vides de propositions ». ♦