Islamisme et États-Unis ? Une alliance contre l’Europe
Le titre est explicite. Le sous-titre précise la thèse, islamisme et États-Unis même combat, combat contre l’Europe. Le général Gallois préface l’ouvrage, Jean-Pierre Péroncel-Hugoz le conclut : on n’est pas ici entre thuriféraires de l’Amérique ou flagorneurs de l’islam. Alexandre del Valle, qui signe son premier livre, est assurément un bon connaisseur de l’islam, qu’il a notamment approché au Liban, et de la langue arabe. Cela donne du poids à son analyse, quelque sévère qu’elle soit.
Sévère, mais incontestable, est la présentation qu’il fait de « la géopolitique du Coran », partage commode du monde entre domaine de l’islam et domaine de la guerre. Sévère aussi, mais plus contestable si l’on se reporte à notre Moyen Âge, est le jugement qu’il porte sur la condition de protégé faite aux gens du Livre soumis au pouvoir islamique, et qui, pour l’auteur, doit plus à l’exploitation fiscale qu’à la tolérance. Surprenant pour certains sera le rappel de la proximité de l’islam et du judaïsme, qui fait dire à Slimane Zeghidour : « On serait mieux fondé à parler d’une culture judéo-islamique que judéo-chrétienne » ; le vrai rival est chrétien, rival en prosélytisme. Cependant, c’est à propos de la distinction de l’islam et de l’islamisme que l’auteur jette son gros pavé dans la mare du consensus actuel. Cette distinction, à laquelle les musulmans modérés et leurs amis sont si attachés, n’a pas de réalité : l’islamisme est « l’islam tel qu’en lui-même » et Mahomet « le premier islamiste ». Alexandre del Valle n’a pas tort. La question est de savoir si cette vérité est bonne à dire.
On accueillera avec de plus grandes réserves la seconde partie de l’ouvrage, qui traite de l’alliance américano-islamiste. On veut bien — c’est l’évidence — qu’au temps de la guerre froide les États-Unis aient aidé les mouvements islamistes en lutte contre l’URSS. La collusion du Pakistan, des États-Unis et des plus durs des moujahidine afghans est notoire et l’on se souvient des 1 000 missiles Stinger livrés à ces derniers. On veut bien que l’Arabie Saoudite ait été « l’épicentre » de cette alliance. En se forçant un peu, on acceptera que les puritains protestants d’outre-Atlantique aient quelques affinités avec les islamistes austères et que l’islam, fût-il dur, fasse bon ménage avec le capitalisme. Toutefois, en dépit de quelques apparences, on hésitera à voir comme une constante de la politique anglo-saxonne en Orient le soutien accordé aux obscurantistes de l’islam, jugés moins redoutables pour l’hégémonie américaine que les tenants d’un réformisme ouvert à la modernité. Sans doute l’auteur a-t-il beau jeu à souligner, comme exemple de ce machiavélisme, l’abandon du chah d’Iran en 1978 et l’acharnement contre l’Irak laïque et moderniste. Encore faut-il rappeler que la révolution khomeyniste n’était pas au programme et que Saddam Hussein a fait ce qu’il a pu pour s’attirer les foudres américaines. Enfin, il n’est pas facile, et del Valle en convient, d’établir une cohérence entre les actions pro-islamistes des États-Unis et leur discours tenace en faveur des droits de l’homme et de la démocratie. Au reste, la politique de la main tendue n’est pas couronnée de succès et l’Amérique demeure, pour la majorité des musulmans, le grand Satan.
Plus fragile encore apparaît l’idée de l’alliance des deux partenaires, l’américain et l’islamiste, contre l’Europe, concurrente du premier et promise à la conquête du second. Le soutien américain aux musulmans bosniaques donne, il est vrai, un peu de corps à cette idée. On préfère y voir l’une des bourdes qui jalonnent, au fil des décennies, la politique étrangère des États-Unis. ♦