Les nations suicidaires
C’est un véritable cri d’alarme que nous lance Yves-Marie Laulan. Dans son dernier ouvrage, cet auteur envoie un message virulent : la civilisation occidentale est en train de sombrer par rupture de ses structures internes. En clair, l’Occident souffre d’une authentique névrose à caractère suicidaire dont on trouvera sans peine la signature dans une démographie exsangue. Pour cet écrivain engagé, nos pays industrialisés périront par implosion démographique, provoquée par la stérilité, voulue ou subie, de la femme occidentale, le sort injuste fait aux jeunes, le souci obsessionnel de la santé et l’effondrement des valeurs « fortes » au profit des valeurs « molles ». Yves-Marie Laulan va même plus loin : face au terrible défi des nations à la démographie galopante, l’Occident en déclin semble avoir accepté avec fatalisme son inévitable marginalisation géopolitique. En résumé, cet économiste qui a servi dans les plus hautes institutions internationales (FMI, Banque mondiale, Otan) soutient une thèse particulièrement audacieuse : le XXIe siècle, tout proche, ne sera certainement pas celui de l’Occident. En fait, il a de fortes chances de ne pas y survivre.
Ce scénario catastrophe irritera probablement plus d’un lecteur. Cependant,
au-delà du ton acerbe du livre, il faut bien reconnaître à l’auteur le mérite d’avoir soulevé certains problèmes explosifs. Ainsi, les démographes ont établi avec certitude que le taux de survie de la population occidentale se situe à 2,1 enfants par couple. Selon Yves-Marie Laulan, la richesse des nations de l’Europe de l’Ouest en services sociaux, sanitaires et éducatifs devrait inciter les Européennes à élever deux enfants sans renoncer à leur mode de vie. Or le taux actuel de 1,4 enfant annonce la contraction d’une population qui aura perdu en moins d’un demi-siècle l’essentiel de sa substance. Autre dérive grave des valeurs : l’auteur voit dans le culte honteux rendu à l’homosexualité non seulement la célébration scandaleuse d’un travers moral, mais aussi celle « d’une pulsion de mort». Il en va de même pour la maîtrise des flux migratoires. Sur cette question particulièrement sensible, il met en garde le lecteur contre une bombe à retardement : l’arrivée massive d’immigrés clandestins, en provenance de cultures différentes, est en train de porter un défi à l’État nation. D’où l’existence de « zones de non-droit qui se développent partout en Occident » et dans lesquelles fleurissent « les fléaux classiques du mal urbain, la drogue, la délinquance, le petit ou grand banditisme, parfois le terrorisme ».
Dans le domaine économique, les prévisions sont également préoccupantes. Ainsi, au début du prochain millénaire, on constatera que le poids de l’Europe dans le concert mondial (25 % en 1990) aura baissé sensiblement pour ne représenter que 21 %. Dans le même temps, l’Asie aura grimpé de 19 % en 1990 à 29 % en l’an 2000, mais la Russie stagnera toujours à 3 % de l’économie mondiale. En 1995 déjà, les réserves de change des seules nations de l’Asie du Sud-Est dépassaient celles des pays du G7. Si on prend en compte la compétitivité, les États-Unis restent encore en tête. Cependant, ils sont maintenant suivis de près par Singapour et Hong Kong (donc la Chine). Le Japon passe devant le Royaume-Uni et la France serait doublée par la Malaysia.
Toutefois, avant d’analyser toutes ces situations inquiétantes, l’auteur nous avertit solennellement : pour aborder un sujet aussi grave, « la mort par suicide au siècle prochain », il adopte volontairement un langage satirique, « celui de Gavroche ou de Charlie Hebdo, car nous vivons, il n’en faut point douter, une époque particulièrement imbécile ». C’est du moins l’opinion d’Yves-Marie Laulan. Le ton du livre est donné. Quel que soit le jugement du public, une chose paraît certaine : l’ouvrage indignera les partisans d’un optimisme béat, mais appuiera les thèses d’une frange inquiète de la population. Dans tous les cas, il ne laissera pas le lecteur indifférent. ♦