Arthasastra ; traité politique et militaire de l’Inde ancienne
Quiconque écrit sur la stratégie se doit de citer Sun Zi (alias Sun Tseu). On pourra désormais varier les références et s’appuyer sur Kautiliya. Maurice Prestat nous avait présenté le Chinois (Economica, 1978) ; Gérard Chaliand nous offre l’Indien. L’un et l’autre, Kautiliya et Sun Zi, ont en commun le brouillard qui entoure leur identité et leur époque (ancienne assurément), leur position de conseiller du prince, leur amoralisme et le caractère impitoyable des conseils qu’ils prodiguent, le goût des aphorismes et des énumérations que l’on tenait jusqu’à maintenant pour chinoiseries.
Les extraits que donne Gérard Chaliand, petite partie des quinze livres de l’œuvre, ne nous paraissent pas établir que celle-ci soit à la hauteur de L’Art de la guerre de Sun Zi ; mais le recueil est plaisant. On appréciera les menées des agents doubles, semeurs de panique et assassins des princes adverses, la subtilité des combinaisons du « Cercle des rois » et le charme exotique de quelques recommandations. Ainsi les assassins du roi devront-ils se débarrasser de lui « par le poison quand il se trouve dans sa résidence, à l’aide de crocodiles ou de nageurs s’il a sauté à l’eau ». Lors d’un siège, « après avoir capturé des faucons, des corbeaux, des faisans, des milans, des perroquets, des sarikas, des hiboux et des pigeons, dont les nids sont dans le fort, on devra les relâcher vers le fort de l’ennemi avec des mélanges à feu accrochés à leur queue ». On relèvera enfin quelques sentencieuses évidences, que l’on croyait aussi le propre des Chinois : « Faire la guerre avec un plus fort que soi, c’est combattre à pied contre un éléphant. Et avec un égal, c’est causer des deux côtés des dommages, comme une jarre en terre crue frappant contre une autre. La faire à un plus faible que soi procurera un succès absolu, comme une pierre heurtant un pot de terre ». Le lecteur averti ne manquera pas non plus de constater que Kautiliya connaît le principe de base du choix stratégique, selon lequel il y a dans toute situation deux solutions, la bonne et celle de l’École de guerre. Voilà, disent les maîtres de stratégie, ce qu’il faut faire. Non ! dit Kautiliya. Et de préconiser l’inverse.
Gérard Chaliand poursuit avec bonheur une œuvre de sauvegarde des textes stratégiques. La série « Stratégies » qu’il anime chez Hachette Pluriel vient de publier deux rééditions : Introduction à la stratégie, du général Beaufre, avec un avant-propos de Thierry de Montbrial ; Les guerres de la Révolution, d’Antoine de Jomini, avec présentation et commentaires de Bruno Colson et Lucien Poirier. ♦