Le partenariat civils-militaires
Cet ouvrage « reproduit les travaux d’une journée d’étude organisée conjointement par la faculté de droit de Rennes et le centre de recherches de Saint-Cyr » en décembre 1996 (donc après la décision présidentielle de professionnalisation, mais avant la « cohabitation »). Faute sans doute d’une présentation précise de l’objet, du cadre et des dimensions de la rencontre, le lecteur est quelque peu désarçonné sur le fond comme sur la forme.
En effet, le terme de « partenariat » (dont un des intervenants reconnaît qu’il est « un mot à la mode, d’origine anglo-saxonne »), bien qu’accommodé actuellement à toutes les sauces, dans le domaine social comme dans les plus hautes négociations internationales, ne semble pas particulièrement adapté à l’ensemble des sujets traités ici. Parler de partenariat par exemple à propos des personnels civils de la défense paraît relever d’une interprétation extensive, sinon abusive. Dans le même ordre d’idées, en quoi le « jeu de chaises musicales » entre les garnisons pour affliger les maires et pénaliser les économies locales le moins possible est-il réellement une « action commune » ? Concernant la gendarmerie, le légat de l’IDOT est le premier à souligner qu’« il convient de l’exclure » du sujet de la participation des armées à la défense civile, puisqu’« elle accomplit de façon quotidienne et permanente » de telles missions (et que par conséquent on ne peut parler de simple « participation »). À ce régime de généralisation et de banalisation, on pourrait aussi bien invoquer le partenariat entre l’agent de police du carrefour et l’automobiliste.
Cela n’enlève rien à la qualité des exposés, prononcés par des auteurs à l’évidence fort compétents. Claires, sans zones d’ombre ni à-peu-près tendancieux, les communications ont pour la plupart l’allure de cours magistraux, très documentés, dignes de figurer dans un manuel d’enseignement et dépassant la simple information. D’épineux problèmes sont soulevés, comme la « multiplicité des catégories et des statuts » des personnels civils, la surcapacité des hôpitaux militaires ou la prolifération des divers plans de secours et de sécurité… Cependant, le ton général est « réglementaire », rassurant, optimiste. Seules tranchent les interventions de M. de La Ménardière sur le reclassement des militaires dans le civil et du professeur Larzul sur l’aménagement du territoire. Le premier n’hésite pas à faire ressortir les difficultés et les limites de l’opération, moins aisée que naguère, et dénonce (avec quelque courage car il en a profité pour rejoindre le Conseil d’État) la « voie perverse » de l’EMSST, dans la mesure où les armées risquent de payer des études et de ne pas « y retrouver leur compte » en cas de départ qui est une « anomalie de déroulement de carrière ». Le second insiste sur l’incompatibilité entre la restructuration des forces armées et l’aménagement du territoire, dont il faut éviter qu’elle se traduise plutôt par une « politique de déménagement du territoire ».
Le caractère généralement académique des propos se nuance au moment de la poignée de questions qu’il est coutume de baptiser « débat ». La scène s’anime alors un moment lorsqu’un « béotien » ose demander « ce qui justifie encore la présence de la gendarmerie au ministère de la Défense », qu’un professeur illustre la notion de partenariat entre la marine et la population bretonne par le large accueil consenti aux civils de la région dans les services « alcoologie et psychiatrie » de l’hôpital militaire de Lorient, ou encore que s’expriment des inquiétudes sur l’avenir de la défense du territoire malgré les affirmations officielles minimisant la portée des missions de projection extérieures qu’il faudra certes « aussi » assumer. La conversation est toutefois circonscrite entre enseignants et cadres militaires supérieurs, d’où une interrogation supplémentaire : le contact entre étudiants et élèves officiers, célébré dans les mots d’accueil, a-t-il eu lieu en présence des promotions respectives ? En tout cas, on ne relève qu’une seule question de la part d’un sous-lieutenant.
Il est indéniable qu’une telle séance peut « créer une synergie représentant un modèle de coopération intelligente, discrète et efficace » ou, pour parler vulgairement, qu’il faut saisir les occasions de compréhension entre l’armée et l’université au lieu de se regarder en chiens de faïence. En dépit d’un certain scepticisme sur la cohérence du contenu, et tout en regrettant que la question de savoir qui paie le partenariat ait été « délibérément écartée des préoccupations », il y a lieu de constater avec satisfaction que, au moins au niveau du discours (et maintenant que l’armée française ne fait plus la guerre !) « la dichotomie entre civils et militaires perd de son tranchant » en faisant place à la prise de conscience d’une « indispensable solidarité ». ♦