Le général Paul Ély et la politique de défense (1956-1961)
Maurice Faivre a dépouillé les dossiers qui, au service historique de l’armée de terre, contiennent les archives que le général Ély y a déposées. Curiosité d’historien, sans doute ; il faut y voir aussi le souci de cerner la personnalité et les œuvres d’un acteur militaire de premier plan, exerçant ses responsabilités à une période charnière de notre histoire récente. Chef d’état-major général de la défense nationale de 1949 à 1954, haut-commissaire en Indochine après les accords de Genève de juin 1954 à décembre 1955, chef d’état-major général des forces armées de février 1956 à février 1959, chef d’état-major général de la défense nationale à nouveau jusqu’en mars 1961, le général Ély aura servi neuf ans la IVe République et trois ans la Ve. Ainsi aura-t-il vécu la conclusion de la guerre d’Indochine, la presque totalité de celle d’Algérie, la gestation de l’arme nucléaire française, les frictions avec nos alliés et — là n’est pas le moins intéressant — les premiers pas du général de Gaulle en chef d’État.
Maurice Faivre s’est limité aux deux aspects majeurs de la réflexion et de l’action du général Ély : le sort de l’Algérie, l’élaboration de la politique militaire de la France. Pour l’Algérie, le chef d’état-major des forces armées est associé au débat qui, en 1956, a pour objet l’attitude à adopter face aux deux pays voisins, Tunisie et Maroc : intervention extérieure ou fermeture des frontières. On sait que c’est le deuxième parti qui fut pris ; qu’il y ait eu là-dessus débat a de quoi étonner aujourd’hui. Aussi bien le barrage aux frontières n’empêcha-t-il pas la France de poursuivre au-delà quelques subtils coups de main sur les camps de l’ALN, opérations fort discrètes sur lesquelles le témoignage d’un des exécutants apporte d’intéressantes précisions. L’action pychologique est la préoccupation majeure du général Ély, préoccupation incorrecte à nos yeux, mais logique à l’époque. Face à l’insoluble problème de l’avenir algérien, enfin, est mise en lumière la perplexité du général de Gaulle, non sa détermination : solutions diverses et décision réservée, soit, mais « il n’y a que moi, dit-il, qui puisse faire tout cela ».
Sur la politique militaire, on trouvera confirmation du lancement, sous la IVe République et dès 1956, du projet d’une arme nucléaire française. On admirera, se replaçant dans les préoccupations du moment, que le général Ély ait eu très tôt le souci de définir une politique militaire jusqu’alors inexistante et d’éviter que l’urgence algérienne ne détourne notre armée d’une reconversion nécessaire face aux périls en Europe. De Gaulle revenu aux affaires, l’impulsion qu’il donna à cette reconversion n’aurait donc pas dû surprendre le général Ély, qui l’avait préparée. Le désaccord patent des deux hommes fut plus de personnes que de fond : ainsi de la rudesse du Général à l’égard de l’Otan et de la manœuvre, tout de suite entamée, pour s’en dégager ; Ély eût souhaité plus de diplomatie.
La partie la plus piquante du livre est la publication d’extraits du Journal de marches et d’activités, où le général Ély rapporte, avec une extrême liberté de ton, ses conversations avec le chef de l’État et les jugements que celui-ci lui inspire. « Impossible, note-t-il, de travailler avec de Gaulle, c’est un homme seul, il n’a confiance en personne ». Homme seul, et fier de l’être : « Je ne suis plus gaulliste, je suis de Gaulle ». Pourtant, écrit Ély, au fond, le de Gaulle d’alors est « un grand enfant qui s’amuse et qui souffre » et à qui il arrive, aussi, de désespérer : « Tout cela m’ennuie. Je suis au bout de mon rouleau. Ce n’est pas exaltant ; en 1940, ce l’était » (13 décembre 1960, après la manifestation d’Alger). ♦