Entre Union et nations
Encore un ouvrage collectif auquel ont contribué dix auteurs, dont six étrangers. On connaît les avantages du genre, la variété des angles d’approche et des points de vue, et ses inconvénients, risque de répétition et manque d’homogénéité. Les seconds semblent ici l’emporter sur les premiers.
Sans remettre en cause un seul instant la compétence ni la culture des participants, tout le début fait fortement penser à un débat de docteurs Diafoirus où le dignus est intrare serait subordonné à l’emploi d’un vocabulaire hébreu sinon latin, à base de « stratégisation, communautarisation, sécurisation, gouvernementalité… » propre à ravir les initiés et à faire fuir les bouseux. Impressionné, mais aussi découragé devant le ballet des « constellations identitaires » et des « structures réfléchies paradoxales », désarçonné devant une série de schémas (chapitre III) à l’allure trop élémentaire pour ne pas cacher quelque version ésotérique, nous ne trouvions pas non plus sur le fond matière à approfondir de façon significative nos connaissances, au-delà des considérations habituelles sur la nation, l’État et la souveraineté, ainsi que sur les menaces qu’un élargissement précipité vers l’Est fait peser sur la cohésion et la richesse matérielle de la partie occidentale du continent, au point de risquer la mort de l’Union « étouffée par la graisse de ses institutions, telle une baleine échouée ». Aussi nous apprêtions-nous à mi-chemin à conseiller au lecteur potentiel de laisser les experts discuter entre eux — ce qu’on ne peut leur interdire — et de se réfugier plutôt dans Exbrayat. Non sans lui signaler tout de même quelques formules heureuses (« Que l’après-guerre froide était belle sous la guerre froide ! ») et l’intérêt présenté par des idées glanées au passage, dignes de réflexion, mais aussi de controverse, comme l’incapacité de l’Europe à définir ses frontières orientales, ou encore la « lecture de l’eurocrime » par le monde policier (pardon : « policiarisé »). Et que dirait Renan de cette définition : « Une nation est une référence circulaire à un lieu vide » ?
La suite, portant essentiellement sur l’Union monétaire et sur la Pesc, nous a paru toutefois plus accessible. Bien que traité de façon assez technique, le premier thème amène à poser de bonnes questions : la monnaie unique, couronnement d’une convergence préalable ou instrument de réalisation de cette convergence par sa seule présence ? Les critères de Maastricht, motif de ralentissement ou piège volontaire imposant aux traînards de rattraper au plus vite le peloton ? Malgré la « configuration inédite » d’une « monnaie sans budget », le poids du marché et les obstacles surgis tant de la réunification allemande que du refus danois, les motivations sont solides et annoncent l’arrivée rapide de cet « abandon de souveraineté sans précédent ». Quant à la Pesc, dont le destin est dominé une fois de plus par la question allemande, est-elle une « suite logique du processus d’intégration » ou un « saut qualitatif » (sous-entendu : dans l’inconnu) ? Avec le « minimalisme » britannique et le risque de déboucher sur une Europe à plusieurs vitesses, cette Pesc, qui ne doit pas se limiter à « prendre le café ensemble », évoque plus dans son état actuel « l’architecture de Gaudi que celle de Le Corbusier ». La longue conclusion, constituant en fait un chapitre supplémentaire, montre combien se rétrécit la liberté d’action des États et se limite leur souveraineté. De là à admettre que celle-ci est « le droit au suicide », il y a un pas que franchit allègrement le dernier intervenant, qui n’hésite pas par ailleurs à relier directement nos récents résultats électoraux à l’évolution des rapports franco-allemands.
En raison d’une impression peut-être injuste de lourdeur et de redondance pouvant provenir en partie d’analyses obstinées et peu constructives, ainsi que des inévitables déformations dues à la traduction de certains des textes, la lecture de ce livre ne paraît pas, en conclusion, se placer en tête des exercices indispensables à la compréhension de la nouvelle Europe par le citoyen moyen. ♦