Conquête spatiale et démocratie
Ce petit livre fait partie d’une collection intitulée « La bibliothèque du citoyen », dont on ne manquera pas de découvrir les louables objectifs dans l’avis liminaire et, pour ce qui concerne le sujet du jour, dans l’« avertissement ». Vulgarisation ? Oh ! le vilain mot ! Plus élégamment, un « moyen d’expression rapide et directe mis à la disposition de la communauté intellectuelle ».
Voici un bien curieux ouvrage. Au vu des titres de l’auteur et de l’énoncé de sa carrière professionnelle, on s’attend évidemment à un hymne enthousiaste aux valeurs et beautés de la conquête de l’espace et… on reçoit une douche froide. Pris à contre-pied sans ménagement, le lecteur assiste d’abord à une critique en règle de l’entreprise spatiale, d’autant plus impressionnante qu’elle n’émane pas d’un quelconque militant écolo-libertaire, mais d’un homme du sérail. Motivations empreintes d’« idéologie technicienne » cultivant l’art pour l’art depuis Icare, jouet à valeur de symbole pour les acteurs de la géopolitique, thèse fallacieuse des fameuses « retombées », devis financiers incomplets en partie « masqués » par une importante « prime publique » et limités au « coût marginal », bref beaucoup d’argent pour un profit discutable au niveau du citoyen, cible de la démonstration.
Roger Lesgards élève ensuite le débat pour aborder un thème plus général mais moins souvent traité que beaucoup d’autres, celui de la prise de décision dans les grandes aventures technologiques du siècle. Le raisonnement dépasse alors le monde de l’espace et conduit à la constatation de la dictature d’experts convaincus que « la société ne comprend rien à son propre bonheur » et qui ont vite fait de mettre les politiques dans leur poche. En peu de mots : « engouement présidentiel + bluff technicien ». Du TGV aux surgénérateurs, il est exact que les options sont prises au sein de petits états-majors, « sans débat sérieux au Parlement », le bon public étant tenu à l’écart. Voilà qui est regrettable dans des démocraties proclamées, mais où le citoyen se trouve en réalité exclu du choix d’orientations majeures appelées pourtant à influer au plus haut point sur l’état de son portefeuille et, plus ou moins directement, sur sa vie quotidienne. Tout en déplorant l’arbitraire de ce fonctionnement « à démocratie réduite », notre auteur surprend une fois de plus, quitte à se contredire, en se livrant incontinent à une évocation dithyrambique de l’« élite restreinte » qui mena à bien le programme Ariane et qui seule fut en mesure de réussir « sur des bases lucides, courageuses et mobilisatrices ».
Il reste de toute façon à savoir s’il est possible de procéder autrement, l’électeur contribuable moyen n’étant pas forcément un docteur ès sciences doublé d’un économiste chevronné. Faut-il donc se résigner et admettre qu’en ces domaines « les procédures démocratiques sont inadéquates » ? Peut-être y a-t-il tout de même des remèdes à cet état de fait ? Les derniers chapitres sont ainsi consacrés à des propositions d’allure concrète : implication plus étroite du Parlement, développement d’une culture populaire mieux axée sur les disciplines scientifiques, correction des outrances médiatiques qui ne savent que passer « de l’emphase aux sanglots dans la voix ». Nous retrouvons ici le souci, bien connu des militaires, de dissocier emploi et mise en œuvre par le biais des « ordres à… » et des « ordres de… ». Gageure que de rechercher « l’alliance entre les connaissances scientifiques et l’idéal républicain », noble idéal que de « mettre les sciences au service des finalités de l’humanité ». À notre avis, l’auteur pose le problème clairement, présente des amorces de solution et convainc… à moitié.
Texte engagé, « dérangeant » comme on aime dire aujourd’hui, employant à l’occasion les accents d’un défroqué vis-à-vis de la curie, écrit dans un style agréable et vivant, maniant l’image et en abusant quelquefois, réglant aussi au passage quelques comptes, avec une hargne évidente dans l’exécution féroce de la « saga d’Hermès… condamné au suicide du fait de ses extravagances financières ». Tous les ingrédients sont finalement réunis pour ne pas s’endormir dans la lecture et pour approuver ou critiquer sur le fond, selon la science et le tempérament de chacun. ♦