La civilisation en solde
Le phénomène de mondialisation, c’est-à-dire la généralisation du capitalisme, a bouleversé les ordres établis dans une fondation séculaire. Cette nouvelle donne nécessite une réflexion approfondie sur l’évolution des valeurs de notre civilisation. C’est le message que nous transmet Charles Delamare dans un pamphlet intéressant qui n’a pour but que d’éveiller l’attention des lecteurs sur le « saut intellectuel » à accomplir.
Depuis 1980, « la globalisation de l’économie » s’est accélérée. Trois facteurs ont entraîné ce changement de rythme. Tout d’abord la volonté de répandre le libéralisme en réponse aux prétentions et aux menaces communistes. Les négociations du Gatt, puis de l’OMC (Organisation mondiale du commerce), les interventions du FMI, les injonctions de la Commission européenne et tant d’autres réformes dans les nouveaux pays en Asie et en Afrique, tendent à faire progresser l’établissement d’une « économie monde ». La deuxième cause de la stimulation du mondialisme est liée aux inventions de la technique, en particulier dans le domaine de la communication. La télécopie, le téléphone et les ordinateurs reliés les uns aux autres « réunissent tout ce qui bouge un tant soit peu au niveau des méninges ». Presque tous les problèmes peuvent désormais être réglés à partir d’un bureau. D’où la révolution de l’information qui constitue le troisième facteur. Cette métamorphose permet au commerce mondial et aux investissements internationaux de réaliser des taux de croissance « jamais vus jusqu’ici ». La qualification et les performances des salariés augmentent au même rythme. Une « classe moyenne globale » est en train de prendre corps sur la planète.
Épuisée par « l’accouchement du capitalisme », la civilisation occidentale est caractérisée par le règne de la pensée scientifique. Selon l’auteur, la société dans son ensemble n’admet pas d’autre explication que scientifique pour tout phénomène se produisant en son sein et dans le monde. On part de la certitude que chaque effet a une cause physique. Dans ce royaume de la pensée unique, la « sphère publique est strictement séparée des impulsions et des croyances personnelles ». Ce qui fut la chrétienté n’existe plus. Nous sommes entrés dans ce que Péguy appelait « l’inchrétienté ». Croire est devenu antinomique de penser scientifiquement. Tout l’entraînement des chercheurs repose sur la conviction que rien ne doit être avancé sans preuve. Nos ancêtres vivaient dans un univers surnaturel, « plein de Dieu, de toute sa puissance et de sa providence ». Nous vivons aujourd’hui dans un monde naturel que nous construisons par nos propres moyens. La primauté du spirituel comme norme d’organisation publique et privée a disparu, non seulement de l’ordre du jour, mais aussi des programmes des partis politiques se réclamant de ce principe alors qu’ils avaient été portés par une grande espérance à la fin de la Seconde Guerre mondiale. La démocratie chrétienne s’appelle désormais en France « la force démocrate ». Même aux États-Unis, où le président et les témoins jurent toujours sur la Bible, la religion a perdu son emprise en devenant « un ornement de pouvoir, non pas sa source, comme au temps des rois de droit divin ». « Le champ de la culture » n’est certes pas détruit, mais « il est piétiné, saccagé ».
Le déclin des valeurs occidentales est ainsi dénoncé par Charles Delamare, qui lance un appel vibrant en faveur d’une « reconstitution d’une morale vivante, d’un humanisme pratique, regroupant les esprits de la planète tout entière ». L’esprit railleur et le ton sarcastique de l’ouvrage choqueront probablement certains lecteurs. La rédaction de ce livre satirique, édité par l’auteur lui-même, a été visiblement guidée par des sentiments passionnels. Ce pamphlet a toutefois le mérite d’aborder les grands problèmes de notre civilisation sous un angle inhabituel. ♦