Mondes rebelles – Tome II : Asie, Maghreb, Proche-Orient, Europe
Cet ouvrage important est conçu comme une encyclopédie des conflits internes contemporains et de la violence politique dans le monde. Chaque conflit, présenté d’une façon très structurée, est décrit en deux grands volets : d’une part, la partie consacrée au conflit même avec un historique et une analyse des données fondamentales (explications géographiques, humaines, sociales et économiques), d’autre part, celle relative aux acteurs qui fournit une véritable fiche d’identité des mouvements de luttes armées (date de création, principaux leaders, idéologie, financement, soutiens intérieurs et extérieurs). Tous ces événements perturbateurs sont exposés quant aux pays qu’ils affectent.
En Asie, c’est l’Inde qui reste l’objet des plus grandes convulsions. Pays de la diversité (géographique, religieuse, ethnique) et des contrastes, la « plus grande démocratie du monde » (900 millions d’habitants) est aussi la nation de la violence. Les secousses internes ont profondément marqué la création de l’Union, comme en témoignent les traumatismes persistants de la partition (1947-1948) et « le chassé-croisé sanglant » entre 8 millions d’hindous fuyant le Pakistan et 8 millions de musulmans quittant l’Inde (avec au bout du compte, plus de 500 000 victimes). En près d’un demi-siècle, le pays de Gandhi a livré trois guerres à son voisin pakistanais (1947-1948, 1965, 1971) et une à la Chine (1962), tandis que ses forces armées, parmi les plus nombreuses du monde avec 1,2 million d’hommes, sont intervenues à diverses reprises dans « l’extérieur proche » (Sri Lanka, Maldives). À la vivacité de l’antagonisme indo-pakistanais, vient s’ajouter une violence endémique qui déstabilise certaines zones menacées par différents facteurs : sécessionnisme (Cachemire, Pendjab, Assam), communalisme (affrontements entre hindous et musulmans dans certaines localités), fondamentalisme religieux (violences xénophobes du Shi Senna à Bombay) et régionalisme exacerbé (revendications politiques des Gurkhas et des Bodos).
À un degré moindre, le Japon connaît également des problèmes d’insécurité. L’épandage meurtrier du gaz sarin dans le métro de Tokyo en mars 1995 a profondément traumatisé l’empire du Soleil-Levant et mis en évidence la dangereuse influence des sectes qui n’hésitent plus à employer « la bombe nucléaire du pauvre ». La sécurité de l’archipel reste également menacée par les clans maffieux (yasukas) qui sont regroupés en fédérations criminelles. Ces groupuscules possèdent une organisation très hiérarchisée et des règles absolues : loi du silence et conduite très stricte comportant notamment des rites initiatiques et une obéissance inconditionnelle à un gourou. Les yasukas prospèrent non seulement dans un grand nombre d’activités illégales (trafic d’amphétamines, prostitution, racket dans les transports et dans l’immobilier, etc.), mais contrôlent aussi de nombreuses sociétés légales. En raison de leurs puissantes ramifications à l’étranger (en particulier dans la zone Asie-Pacifique et aux États-Unis), ces sociétés secrètes constituent une source de déstabilisation de l’État nippon.
L’interminable guerre civile en Afghanistan occupe également une place de choix. L’effondrement du régime communiste au printemps 1992 n’a pas ramené la paix dans ce pays exsangue. La situation conflictuelle s’est poursuivie selon de nouvelles logiques et avec de nouveaux acteurs qui s’allient puis se déchirent, au gré de spectaculaires rebondissements. Plongé dans une anarchie permanente et ravagé par des luttes de factions qui sont entretenues par des puissances extérieures antagonistes, le pays n’arrive pas à s’extraire de cette spirale infernale de violence quasi structurelle. Ce n’est pas le cas de la Birmanie (Myanmar) qui a réussi à apaiser un nombre important de mouvements de rébellion (Shans, Karens). Au début des années 90, l’ancienne colonie britannique était pourtant affaiblie par une vingtaine de mouvements insurrectionnels de nature variée : communiste, séparatiste, chrétienne, musulmane, trafic de drogue à partir du fameux « triangle d’or », sans oublier les armées privées (emploi de mercenaires, notamment français, à la solde des Karens) et les milices de tout genre. Ce foisonnement de turbulences a été alimenté par une géographie très favorable au combat de guérilla et par des données sociologiques qui s’appuient sur une mosaïque humaine particulièrement riche (près de 150 groupes et sous-groupes ethniques). Les récents succès de l’armée birmane (contre le quartier général karen) et les négociations menées par le régime de Rangoon avec certaines factions (notamment certains seigneurs de la drogue) ont cependant diminué le nombre des sources d’instabilité.
Dans cette contrée tumultueuse, la Chine semble étonnamment épargnée depuis la répression tragique de Tien-an-Men au printemps de 1989. La relative stabilité que semble connaître l’empire du Milieu est d’autant plus paradoxale que le régime actuellement en place à Pékin s’est emparé du pouvoir en 1949 au terme de l’une des plus longues et des plus douloureuses guerres civiles qu’ait connues le XXe siècle. Durant ces années de lutte, le Parti communiste chinois a incontestablement acquis un « savoir-faire insurrectionnel » qui devait servir ultérieurement de référence à une multitude de guérillas sur la planète. Toutefois, au fil des temps, « le grand foyer révolutionnaire » s’est transformé en un « grand marché mondial » ouvert aux concepts économiques des pays occidentaux (autrefois sévèrement fustigés). Beaucoup d’analystes pensent même que le pays le plus peuplé du globe (1,2 milliard d’habitants) sera dans moins de vingt ans l’une des toutes premières puissances économiques. Ce formidable changement ne doit pas cependant faire oublier que le pays de Confucius reste fragilisé par de nombreuses incertitudes : fossé grandissant qui sépare les provinces côtières à fort taux de croissance et celles de l’intérieur toujours à l’état moyenâgeux, importance de la corruption, développement des réseaux maffieux et d’une « Chine clandestine », avenir du Tibet, intégration de Hong Kong, revendications sur les îles Spratley, évolution des relations avec Taiwan, etc.
Les principaux conflits des autres continents sont traités avec la même analyse minutieuse. Les études concernent les dossiers de tous les points chauds : question du Sahara occidental, guerre civile en Algérie, tensions dans les territoires palestiniens, en Israël et au Liban, particularisme des agitations en Turquie, situation de crise en Iran et en Irak, instabilité en Russie, turbulences dans la « poudrière du Caucase » et guerre dans l’ex-Yougoslavie. Sur ce dernier drame qui s’est déroulé dans une contrée située à moins de deux heures d’avion de Paris, les auteurs soulignent le côté irrationnel du conflit. Cet aspect démesuré est apparu dans les discours des différents dirigeants nationalistes, désireux de mobiliser leur communauté. Dans cette tragédie, la solidité et la crédibilité européennes ont été mises à rude épreuve ; le nouvel ordre mondial censé être régi par l’Onu depuis la guerre du Golfe a montré ses limites et les États-Unis ont finalement prouvé qu’ils restaient « le seul arbitre de poids » de la scène internationale. En résumé, l’ouvrage de Jean-Marc Balencie, docteur en sciences politiques, et d’Arnaud de La Grange, grand reporter au service étranger du Figaro, constitue un document de référence qui aborde la géopolitique sous un angle original et particulièrement intéressant. ♦