50 ans d’armée française
Entre l’armée réunie par le général de Gaulle à la Libération et celle qui est intervenue en Bosnie, de nombreuses mutations se sont accomplies au sein de l’institution militaire. Cette évolution est analysée en détail dans le dernier ouvrage de l’historien Pierre Miquel. Dans la première partie, qui traite de la « renaissance de 1945 », l’auteur souligne la triple origine de l’armée française au lendemain de la Seconde Guerre mondiale : les Forces françaises libres, les unités constituées en Afrique après la libération de 1942 et les formations qui ont pour origine la Résistance. Ces troupes se sont couvertes de gloire aussi bien sur l’Atlantique que pendant le dur hiver de 1944-1945 en Alsace et dans les Vosges. L’armée française a franchi le Rhin et s’est portée courageusement en avant pendant la campagne du printemps en Allemagne du Sud, jusqu’aux vallées alpines d’Autriche.
Dans la deuxième partie, Pierre Miquel propose au lecteur une étude intéressante sur « la guerre révolutionnaire en Indochine ». À cette époque, les Français connaissaient certes quelques fondements de la guérilla pour l’avoir pratiquée contre les Allemands. En Indochine, ils se sont toutefois heurtés à des méthodes d’actions différentes et à une idéologie totalitaire : le parti de l’indépendance (Viêt-minh) est intervenu dans le moindre détail de la vie quotidienne, y compris familiale, obligeant par exemple les membres d’une famille à dénoncer ceux qui étaient tentés par la collaboration avec l’ennemi, pour qu’ils subissent une « rééducation démocratique ». Les combattants du Viêt-minh se sont ainsi assurés de la complicité active de la population au sein de laquelle ils ont su parfaitement se dissimuler, sachant y vivre « comme un poisson dans l’eau ». Les Français n’ont donc pas trouvé devant eux des partisans isolés par petits groupes, mais une population entière dont ils ont dû se méfier. Selon l’auteur, les actes de contre-guérilla entrepris dans les villages n’ont eu pour effet que de souder la résistance. Les méthodes anciennes de l’armée coloniale étaient donc condamnées d’avance.
Le troisième chapitre est consacré à « l’armée de la décolonisation algérienne ». Dans ce nouveau conflit, les états-majors ont dû concevoir une forme de lutte mieux adaptée au terrain (le djebel a remplacé les rizières) et à la nature de cette guerre révolutionnaire d’un type différent. Sur cette question, l’auteur met notamment en relief le succès de l’œuvre de « pacification » du général Challe : constatant que l’essentiel des effectifs militaires étaient employés aux tâches routinières de surveillance et de bouclage, le commandant en chef mit sur pied les fameux « commandos de chasse » dont la mission était « de coller aux katibas » pour empêcher la constitution de sanctuaires dans les zones au relief favorable à ce genre d’actions. Les succès spectaculaires des opérations « Jumelles », « Émeraude », « Cigale », et « Turquoise » ont ainsi pratiquement anéanti la rébellion en Oranie et dans l’Algérois.
La quatrième partie relate « les missions internationales qui ont ensuite été confiées à l’armée française (opération de Suez, interventions au Liban) et les « missions africaines » résultant des accords de défense et d’assistance militaire passés entre la France et ses anciennes colonies. Pour sa part, le dernier chapitre relate « les interventions rapides » (guerre du Golfe, ex-Yougoslavie, Cambodge, Somalie, Rwanda...). Au cours de ces engagements, Pierre Miquel note que l’armée française a découvert que la mission humanitaire est devenue « l’une de ses tâches essentielles ». Désormais, l’action humanitaire s’est organisée pour répondre à toutes les demandes d’assistance : évacuation des ressortissants, secours après les catastrophes naturelles, aide aux populations menacées, etc. L’état-major de la FAR (force d’action rapide) peut mobiliser outre-mer des unités intégrées dans le système d’alerte « Guépard » ou prépositionnées dans des bases en Afrique. En 1991, l’armée française a ainsi évacué les civils menacés au Zaïre, au Togo et au Bénin. Elle est intervenue après un cyclone en Polynésie et a vacciné les populations de Djibouti. Les militaires français ont aussi participé au déminage du Koweït, à l’aide aux réfugiés kurdes dans le nord de l’Irak et aux Éthiopiens réfugiés à Djibouti. Les marins-pompiers de Marseille sont intervenus lors des tremblements de terre de Mexico, d’Arménie et d’Iran. L’assistance médicale s’est portée dans une vingtaine de pays, mais plus particulièrement au Cambodge, en Somalie, au Rwanda et en Bosnie.
L’ouvrage de Pierre Miquel (agrégé d’histoire, docteur ès lettres, professeur à la Sorbonne et auteur d’une multitude de livres sur l’histoire de France) constitue une bonne synthèse des activités contemporaines de l’armée française. Par ailleurs, les nombreuses photographies provenant des archives de l’ECPA rendent plus vivante la lecture de ce document particulièrement captivant. ♦