Sortir la France de l’impasse
Le titre ne manque pas d’audace, non dans le constat (« l’impasse », dans la mesure où tout le monde parle de crise, notamment dans le domaine de l’emploi), mais dans l’objectif affiché. De façon classique et rationnelle, l’ouvrage solidement structuré comporte un diagnostic et l’énoncé d’une thérapie. Comme souvent, le traitement proposé, tout judicieux qu’il puisse être, laisse plus sceptique que l’identification du mal, maladie de langueur complexe où dominent « découragement… résignation… perte des repères ».
L’analyse de situation est fine et détaillée. De nombreux éléments n’apportent guère de surprise : faiblesses structurelles masquées par de « grands pôles performants », tradition protectionniste accompagnée d’une indéniable répugnance face à l’expatriation prolongée, caractère « paralysant et instable » de la réglementation du travail, RMI devenu moyen institutionnel de survie… tout cela est malheureusement bien connu. Cependant, le docteur Levet, praticien perspicace ayant bénéficié de bons postes d’observation, poursuit la description sur des terrains moins notoires : existence d’« espaces de connivence » (fort bien nommés !) dans la circulation de l’information, dans la conduite de l’économie et même dans la direction de l’État, lacunes de notre système bancaire, surestimation des moyens statistiques aboutissant à de réjouissants truismes. Il se livre aussi à une comparaison accablante avec nos pragmatiques voisins allemands chez qui plus d’une leçon est à prendre : on dispose outre-Rhin de « véritables professionnels » du Parlement européen et du lobbying bruxellois et, dans l’opération de réunification, si le fardeau a été lourd, les effets bénéfiques ont largement dépassé la simple réintégration de la RDA pour permettre une pénétration considérable en direction de l’Est. « L’axe franco-allemand est un leurre » peut-on lire ici ; il ne « tourne qu’autour de la puissance allemande ».
Une classe politique déconsidérée, empêtrée dans la guerre des chefs, n’est guère en mesure de nous sortir d’affaire. Est-ce pour cela que nous semblons échouer là où d’autres « modèles nationaux » obtiennent des résultats satisfaisants ? La gauche, coupable d’« archaïsme idéologique », a en même temps manqué de vertu au lieu de « redonner sa place à l’utopie » ; la droite en ses divers états (énumérés avec esprit et à-propos) ne parvient pas à « dépasser l’égoïsme » et cherche désespérément ce qui peut bien la séparer de ses adversaires. Levet cingle la tendance « louis-philipparde et bourgeoise » en tirant à boulets rouges (si l’on ose dire) sur l’œuvre du gouvernement Balladur. D’autres clivages plus actuels, dont le débat sur Maastricht fut le révélateur, prennent la place de classifications largement périmées.
Le cliché radiologique est donc particulièrement net. On peut tout au plus s’interroger sur l’intérêt direct pour notre pays de la situation des îles Spratley et sur le « réveil de la société » censée s’être exprimée fin 1995. La « reprise en main de son destin » semble avoir été plutôt, à l’époque, la redécouverte involontaire de la marche à pied.
Entre la partie négative et les propositions attendues, l’équilibre est parfait : 130 pages, 4 chapitres de chaque côté ; mais seuls deux des chapitres de la seconde partie ouvrent selon nous des perspectives substantielles ; le chapitre VI est consacré à des recommandations précises (sortir de la « stratégie unique » qui guida notre pays depuis le début du siècle vers des objectifs exclusifs, créer de nouvelles activités au lieu de tenter de partager l’existant, relancer la demande par la hausse des salaires, privilégier de véritables « politiques régionales » plutôt que de se complaire dans des « travaux pharaoniques »), assorties d’une série de mesures techniques, financières et politiques adaptées. Le chapitre VIII, pour sa part, comporte des charges sans doute bien méritées contre l’éducation nationale et le recrutement des élites (l’ENA, « machine à produire du conformisme ») et en tire les conclusions qui s’imposent. Les deux autres chapitres de cette partie nous ont paru en revanche, pour l’essentiel, prolonger la phase de diagnostic. Ils consistent en cours, intéressants et instructifs d’ailleurs, de géopolitique et de management. On notera par exemple la façon dont le « ratio Cooke » prouve l’hégémonie yankee, mais on regrettera quelques raccourcis et imprécisions, en particulier dans le passage en revue des « zones économiques » : présenter Haushofer, rebaptisé Hanshofer, sous la seule dénomination d’« officier nazi » semble un peu réducteur. Quant à la Russie, personne n’y connaît Laroslav ; Volgograd n’est pas le berceau de l’industrie automobile suédoise et on a peine à croire qu’un général, même très corrompu, se soit compromis pour un pot-de-vin de 100 000 roubles valeur 1993.
Réformer une école, ramener à la raison les satrapes de la décentralisation, est-ce suffisant pour garantir l’avenir ? Plus sérieusement, « retrouver l’initiative » oui ; « choisir l’ouverture maîtrisée au monde » certes, « réconcilier les citoyens et la politique » pourquoi pas ? Pourquoi surtout attendre, a-t-on envie de dire aux représentants de la crème du peuple le plus intelligent de la Terre qui, associés hier ou aujourd’hui au pouvoir économique et politique dans ce pays, indiquent la voie à suivre ? Cet ouvrage fort documenté se lit agréablement, bien que véhiculant à notre avis un message pessimiste que ne corrigent pas complètement appels au renouveau et vœux pieux. La cure envisagée ne servirait-elle qu’à adoucir les derniers instants d’un malade condamné, dont l’état est exposé crûment sans que les remèdes prescrits semblent capables d’inverser le sens du destin ? ♦