Les agressions chimiques
Cet ouvrage a été réalisé sous la direction des pharmaciens en chef, professeurs agrégés du Val-de-Grâce, Ivan Ricordel et Claude Renaudeau, avec la collaboration du pharmacien en chef F.-M. Priller, professeur au Val-de-Grâce, du médecin général Noto, ex-médecin-chef de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris, et du colonel J.-M. Blanchet, spécialiste nucléaire, bactériologique et chimique à la brigade des sapeurs-pompiers de Paris.
Les armes chimiques ont été de tout temps employées — avant même l’invention de la poudre — et vivement redoutées en raison de leurs impacts psychologiques. Le développement du terrorisme fait désormais envisager leur utilisation, non plus seulement dans les conflits internationaux, tels celui entre l’Irak et l’Iran ou la guerre du Golfe, mais aussi dans les conflits politiques internes ou externes. L’attentat commis dans le métro de Tokyo le 20 mars 1995 à 8 heures du matin en est un exemple concret : il a surpris les autorités japonaises en dépit des incidents préalables à Matsumoto en juin 1994 et à Yokohama le 5 mars 1995, et a mis en évidence des erreurs engendrées par la méconnaissance du danger chimique, le manque de consigne et l’improvisation des actions immédiates avec une grande bonne volonté spontanée par les gens présents sur les lieux.
Être en mesure de faire face à une agression chimique lancée par un mouvement terroriste devient maintenant une obligation de sécurité intérieure pour tout gouvernement. Le problème n’est pas entièrement nouveau, car des mesures existent pour parer à des accidents de fabrication ou de transport de produits chimiques dangereux, mais il est plus complexe. En effet, l’agression chimique est conçue pour être la plus nocive possible par la soudaineté, le choix des lieux et moments, ainsi que celui des cibles fragiles, et par la sélection du produit le plus approprié.
Le livre, édité par Raymond Fusilier dans la collection spécialisée Fransel consacrée à la protection des populations et au secourisme, ne prétend pas énoncer une doctrine, mais être un guide pratique de conduite face à des agressions chimiques volontairement provoquées. En outre, il constitue une ouverture et une base pour la considération de ce risque nouveau.
Ce guide est articulé en quatre chapitres. Le recensement des toxiques susceptibles d’emplois terroristes : en fait, il s’agit des mêmes produits que ceux des armes chimiques militaires ; leurs effets sont soigneusement analysés, ainsi que les traitements appropriés à chacun d’eux. La description de quelques scénarios : sont évoqués plusieurs scénarios types très soigneusement et rationnellement imaginés ; sont exploités les enseignements à tirer de l’attentat du métro de Tokyo. La préparation et l’organisation des secours sur les sites d’agressions : sont énumérés les moyens existants et est présentée une méthode phasée des interventions de secours sur place depuis la première alerte jusqu’aux évacuations vers l’hôpital. L’organisation des secours à l’hôpital, c’est-à-dire les soins appropriés aux victimes récupérables.
L’agression chimique comporte par rapport aux autres agressions terroristes courantes, notamment par explosifs, un risque spécial qui en prolonge l’action et la nocivité : la contamination, variant avec la nature du produit employé et imposant la décontamination des victimes avant traitement et évacuation. C’est dire l’importance majeure du chapitre III du livre et de la phase correspondante : préparation et organisation des secours sur le site d’agression. La réussite est à base de discipline des intervenants comme de la population. À Tokyo, les auto-évacuations par les victimes ont contribué à l’expansion de la contamination dans les hôpitaux.
En conclusion, l’« insidiosité », la haute toxicité et la contamination qui caractérisent l’agression chimique imposent à la parade trois conséquences majeures. La première est de privilégier l’indispensable protection des intervenants ; celle-ci implique un minimum d’équipements immédiatement disponibles en permanence (effets spéciaux, masques, etc.), sinon les sauveteurs deviennent instantanément victimes sans efficacité. La deuxième réside dans la priorité des mesures faisant face au risque majeur de transfert de contamination : procédures et moyens d’accueil, de déshabillage et de décontamination décrites dans le livre, en usage dans l’armée, à la brigade des sapeurs-pompiers, et dans — hélas ! peu nombreuses — les cellules mobiles d’intervention chimique de la sécurité civile (CMIC) équipées, mais à répandre largement dans les organismes civils et parapublics de secours (Croix-Rouge, services de la protection civile, etc.), sinon la contamination gagne rapidement les hôpitaux eux-mêmes. La troisième est l’importance de l’alerte, avec son corollaire la détermination au plus vite de l’agent chimique agresseur, ce qui exige une mise en place très dispersée des détecteurs appropriés.
L’énoncé de ces trois conséquences incite à une réflexion approfondie. Le danger chimique, sournois et mal connu de l’opinion, est de nature à provoquer des effets, excessifs et irrationnels, de panique, lesquels favorisent justement le transfert de contamination. C’est pourquoi, outre l’expansion des mesures et des moyens de premiers secours sur place, l’information, préalable et exacte, a une importance capitale. Les réflexes à créer face au terrorisme chimique sont différents, voire inverses, de ceux à déployer face à des formes plus classiques de terrorisme : infections rapides, décontamination, et ensuite seulement évacuations et soins. De plus, les agents chimiques attaquent généralement les voies respiratoires, d’où la nécessité de disposer d’un approvisionnement en oxygène sans rapport avec les besoins courants.
En bref, la lutte contre les agressions chimiques, danger nouveau et réel, réclame la diffusion d’une information appropriée qui n’existe guère. Le livre Les agressions chimiques vient donc bien à son heure, et ce d’autant plus que, rédigé par des techniciens compétents, sa lecture en est facile et compréhensible par des profanes. ♦