Crise libyenne : la nouvelle donne géopolitique
Crise libyenne : la nouvelle donne géopolitique
Dans son ouvrage bien documenté et de lecture aisée, le général Fleury s’appuie sur le conflit libyen pour développer une « réclame » robuste de l’arme aérienne et faire un état des lieux sans concession de l’état de nos forces comme de « l’Europe de la défense ». L’exposé des graves lacunes dans le domaine de la puissance militaire française et européenne s’inscrit en contrepoint d’une donne géopolitique mondiale en profonde mutation avec la montée en puissance des pays émergents qui ne veulent plus jouer les seconds rôles dans les affaires du monde, les appétits chinois en Afrique et en Amérique latine ou encore un « Printemps arabe » qui prend les couleurs de l’automne.
La Libye est un pays trois fois plus étendu que la France et peu peuplée. Elle a vécu une histoire riche, dont la connaissance est indispensable à la compréhension de ses secousses actuelles. Depuis 2 500 ans, ses trois entités, Cyrénaïque, Tripolitaine et Fezzan n’ont relevé de la même autorité que durant quatre siècles. Leurs destins ne sont donc pas plus à lier dans le futur qu’ils ne l’ont vraiment été dans le passé. Si la Cyrénaïque a paru l’emporter avec l’installation de la monarchie sénousite en 1947, le coup d’État de Mouammar el-Kadhafi qui la renverse en 1969 ramena le balancier vers la Tripolitaine. Le colonel Kadhafi a pu exercer, au gré d’apparentes foucades, 42 ans d’un pouvoir dictatorial en s’appuyant sur sa tribu, la distribution de la rente pétrolière, les tribus arabes de Tripolitaine mais aussi sur des purges nombreuses et sanglantes.
Le « Printemps arabe » qui a secoué la rive Sud de la Méditerranée jusqu’au golfe Persique aurait pu épargner la Libye dont l’armée était aux mains de la caste dirigeante. Comme dans d’autres cas semblables, elle fut chargée d’écraser sans retenue une rébellion attisée par un mécontentement fort et ancien. Elle était sur le point d’avoir raison des chebabs, soldats de fortune inexpérimentés, rapidement au bord de l’effondrement sous les yeux d’une communauté internationale choquée mais passive, quand la France décide de ne pas laisser se perpétrer un bain de sang dans son environnement proche. Suivi par la Grande-Bretagne puis les États-Unis, Paris secoue la léthargie de la conscience internationale qui finit par accepter l’intervention armée en adoptant la résolution 1973, première application internationale de la « responsabilité de protéger » telle que l’ONU l’a définie en 2005. La décision est obtenue malgré cinq abstentions dont l’Allemagne et les grandes nations émergentes qui entendent désormais faire ressortir leurs différences dans les grands débats. Les insurgés voulant se libérer eux-mêmes, l’action terrestre est écartée au profit d’un appui aérien. La campagne débute le 19 mars 2011. Elle engage des appareils français suivis de britanniques, de canadiens et d’américains. La direction des opérations sera ensuite transférée à l’Otan qui disposera de 200 chasseurs au maximum d’une douzaine de nations et d’avions ravitailleurs dont 80 % sont fournis par les États-Unis. Fin avril, 4 398 sorties ont appuyé les chebabs et eu raison de l’aviation, de la défense aérienne et de la marine du « Guide ». L’Otan arrête ses vols le 23 octobre. Après l’exécution de Kadhafi, c’est le début d’une nouvelle phase qui appelle à la réconciliation entre les parties et à la reconstruction du pays. La campagne aérienne a montré la capacité « d’entrer en premier » de notre aviation comme la qualité de ses équipages et de ses moyens. Si elle a été une réussite, elle a aussi dévoilé des lacunes capacitaires. Non pas tant dans les stocks qui ont été suffisants mais dans le ravitaillement en vol, la surveillance des mouvements au sol et les avions sans pilote. Pour venir à bout d’un pays de 7 millions d’habitants, il a quand même fallu rassembler les efforts d’une coalition durant sept mois qui ont épuisé les composantes aériennes de nos forces.
Incapables de mener une opération d’envergure sans les moyens américains, les Européens qui pourraient utilement pallier leurs faiblesses par une intelligente répartition de leurs ressources, payent au prix fort la diète budgétaire de leurs forces armées et l’absence d’une politique de défense et de sécurité commune tiraillée entre « durs » et « mous ». Ils montrent aussi leur incapacité de détacher plus de 3 à 5 % de leurs forces à grande distance pour des durées significatives. L’Armée de l’air française a bien mérité, elle a fait la preuve de sa nécessité et ne doit plus servir de variable d’ajustement, au même titre que le budget de la défense. ♦