La fièvre doctrinale qui a saisi les divers circuits de défense américains se concentre sur les stratégies de contre-déni d’accès. L’auteur en fait l’inventaire, en révèle les généalogies croisées et montre qu’elle s’inscrit dans un marais conceptuel marqué par l’obsession de la puissance chinoise. Les choix interarmées qui en résultent montrent une effervescence intellectuelle et technologique américaine qui va se heurter aux réalités budgétaires.
La question du déni d’accès et le concept Air-Sea Battle
The Question of Anti-Access and the Concept of AirSea Battle
The doctrinal fever that seized various departments of American defense is concentrating on the strategy of counter access denial. The author takes stock of this, revealing the crossing genealogies and showing that it is in a conceptual swamp marked by an obsession with Chinese power. The resulting joint-army decisions show an intellectual and technological turmoil that will run into budget realities.
Avec la focalisation de la stratégie américaine sur l’Asie-Pacifique et l’affirmation du défi stratégique chinois, l’aptitude à contrer les capacités de déni d’accès et d’interdiction de zone (Anti-Access/Area Denial, A2/AD) (1) s’affirme depuis la fin de la décennie 2000 comme une priorité du Pentagone et donne lieu à une forte entropie dans la production conceptuelle militaire et dans le débat stratégique américain.
Une préoccupation depuis le milieu des années 1990
La question du déni d’accès n’est pas à proprement parler nouvelle. Omniprésente durant la guerre froide, elle réémerge dans la seconde moitié des années 1990, tout particulièrement avec le travail du National Defense Panel (2) mandaté en réaction aux orientations de la Quadrennial Defense Review de 1997 jugées insuffisamment adaptées à ce défi. Dès cette époque, elle est largement portée par les partisans de la « Révolution dans les affaires militaires » (RMA), qui estiment que les forces américaines doivent tirer parti de la pause stratégique qu’elles connaissent alors pour faire un saut technologique et se préparer à l’émergence d’un peer competitor. Les évolutions de l’appareil militaire chinois au cours des années 2000 donnent corps à leur préoccupation. Après la crise de Taiwan de 1996, l’armée populaire de libération (APL) se tourne activement vers le développement de ses capacités navales, sous-marines, balistiques et spatiales ainsi que des doctrines afférentes. En outre, l’attaque dont est victime l’Estonie en 2007, le vol massif de données classifiées en 2008 achèvent de placer la guerre cybernétique au premier rang des inquiétudes des stratèges américains (3). En 2009, Michèle Flournoy, alors Sous-secrétaire à la Défense pour les affaires stratégiques, et Shawn Brimley, estiment que les forces américaines doivent se préparer à opérer dans des contested commons, ces espaces dont les Américains pourraient ne plus être en mesure de garantir l’utilisation (4).
Dans la directive (5) signée par le Secrétaire à la Défense, Leon Panetta, en janvier 2012, qui entérine le rééquilibrage de la stratégie américaine vers l’Asie-Pacifique, la « projection de force en dépit des capacités adverses A2/AD » figure comme la troisième mission assignée aux forces armées américaines et comme l’aptitude leur permettant de dissuader et contrer une agression (seconde mission fixée, la première restant la lutte contre Al-Qaïda) (6).
Il reste 89 % de l'article à lire
Plan de l'article