Navires armés d'avions et avions à réaction
L’envol et l’atterrissage réussis le 3 décembre 1945 d’un avion à réaction De Havilland Vampire, à bord d’un petit porte-avions britannique de 14.000 tonnes l’Ocean, constituent un événement dont l’importance mérite d’être soulignée, car elle synthétise la double révolution qui s’opère, sur mer et dans les airs, par le développement du navire porte-avions et de l’avion propulsé par réaction. Le navire armé d’avions est né à la fin de la guerre mondiale n° 1, mais il a fallu vingt-cinq ans — de 1917 à 1942 — pour que son affirmation éclate. L’avion à réaction est né à la fin de la guerre mondiale n° 2. Celle-ci s’est achevée avant qu’il ait pu s’affirmer, mais son règne n’en est pas moins certain.
C’est l’essor du navire porte-avions qui vient de consacrer la primauté de la marine américaine parmi les marines mondiales, de même que, il y a trois siècles, le développement du vaisseau armé de canons avait marqué le début de la puissance britannique sur mer. Vers la fin du xvie siècle, les marins anglais comprirent les premiers le parti que l’on pouvait tirer de vaisseaux à voiles armés de couleuvrines, de caronades et de fauconneaux disposés parallèlement sur les flancs pour assurer la concentration du feu, à la bordée. C’est ainsi qu’en 1588 la marine des Tudor put vaincre l’Invincible Armada espagnole dont l’artillerie s’entassait dans des directions divergentes dans des châteaux surélevés. Dans les trois siècles qui suivirent, le règne de la Grande-Bretagne sur les mers resta fondé sur sa supériorité en navires armés de canons. En 1805, à Trafalgar, les canonniers de Nelson tiraient trois fois plus vite que ceux de Villeneuve. La primauté du canon comme arme navale survécut à l’évolution de la plateforme elle-même : propulsion par l’hélice au lieu de la voile, construction en fer, cuirassement et disposition des canons eux-mêmes en tourelles orientables. En 1910, le fire director de Percy Scott substitua l’automatisme à l’habileté des pointeurs individuels. Le canon était parvenu sur mer à son apogée, dont l’expression en fut les croiseurs de bataille anglais et allemands de 1914-1916, issus de la formule du biggest big gun de l’amiral Fisher.
Mais voici qu’apparaît la machine volante, et le même Percy Scott et le même Fisher comprennent aussitôt quelle menace pèse sur le règne, jusqu’alors incontesté, du canon sur mer. L’avènement du « navire armé d’avions » se place en 1917 par la transformation du Furious, dont une tourelle à canons de 453 fut enlevée et remplacée par une plate-forme d’envol. L’exploit du lieutenant-commander Dunning, le 7 août 1917, consacra le premier atterrissage d’un avion à roues sur une plate-forme de croiseur de bataille en marche. Il était prévisible que le navire de guerre à plate-forme devait surclasser le navire à tourelles et les avions porteurs de bombes ou de torpilles, les projectiles d’artillerie. Il fallut néanmoins attendre 1942 pour que soient livrées de véritables batailles navales à coups d’avions, non plus à la portée balistique des canons, mais à la distance aéronautique des avions embarqués. Les batailles de la mer de Corail et de Midway marquent l’avènement du navire porte-avions comme navire de combat. Au lieu de canons de 380 ou de 406 lançant à 30 kilomètres des projectiles de 800 à 1.000 kilos, le navire armé d’avions envoie à 300 kilomètres des bombes ou des torpilles pesant, tout aussi bien, 800 à 1.000 kilos. S’il a fallu quatre siècles au canon pour multiplier par cent sa portée, du premier coup, l’avion multiplie par dix la portée des plus gros canons contemporains. Aux flottes armées de canons, nées au siècle d’Élizabeth, succèdent les flottes de navires armés d’avions du temps de Roosevelt. Le règne du canon sur mer a duré trois cent cinquante-quatre ans — des combats de l’Invincible Armada de 1588 à la bataille de Midway de 1942. Le règne du navire armé d’avions sur les mers est maintenant incontesté, si ce n’est par la « routine ». Il se peut que le porte-avions de demain utilise des avions sans pilote ou des engins volants télécommandés par des avions pilotés ; le fait ne changera rien à la primauté, désormais acquise, du navire de surface armé d’avions. Mais voici qu’un fait nouveau, la propulsion aérienne par réaction, vient confirmer la primauté de la formule aéronavale.
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