La stratégie de l’audace, quatorze cas concrets
La stratégie de l’audace, quatorze cas concrets
Le général Forray est un stratégiste précis. Non qu’il se refuse à embrasser la totalité de sa discipline : il le fait dans le dernier chapitre de ce livre, en un tableau de la conjoncture géostratégique dont les commis au Livre blanc auraient pu tirer profit. Il préfère pourtant accrocher sa réflexion à quelque thème choisi. Dans ses précédents ouvrages, il nous a parlé de la guerre d’indépendance américaine, d’Austerlitz, de débarquements en Angleterre. C’est ici l’audace militaire qu’il observe, en quatorze exemples qu’il nomme cas concrets. Il eût pu remonter à Carolus Audax, c’est en 1940 qu’il commence sa revue. Chacun des épisodes qu’il a sélectionnés est présenté en un plan rigoureux : cadre, faits, analyse, conclusion en forme de jugement.
Beaucoup de ces coups d’audace ont réussi : aux Allemands de 1940 en Norvège d’abord, en France ensuite avec Manstein pour concepteur et Guderian pour principal exécutant ; aux Français avec Leclerc de Koufra à Strasbourg, et Erulin à Kolwezi ; aux Anglais avec Wingate en Birmanie en 1944 et Madame Thatcher aux Malouines en 1982. Quelquesuns ont échoué, l’échec le plus spectaculaire étant celui de Montgomery à Arnhem en 1944. Certains sont en demi-teinte comme la coûteuse conquête de la Crète par les Allemands en mars 1941. D’autres enfin, un temps envisagés, n’ont pas abouti ; le projet de Hitler sur Gibraltar donna lieu à de prudentes approches, menées par le Führer auprès de Franco, de Pétain et de l’encombrant allié italien.
De l’ensemble du livre se dégage une constante. L’audace réussie est le signe d’un grand caractère. Point de victoire aux Malouines sans Margaret Thatcher, à Kolwezi sans Giscard d’Estaing, en Afrique et en France sans Leclerc et, en maintes occasions, sans Hitler, dont on a un peu vite dit qu’il fut mauvais stratège. Gilbert Forray a, dès son avant-propos, nommé l’acte qui fait de l’homme un chef : décider. Acte mystérieux, ajoute-t-il fort justement. L’intelligence y a peu de part. La volonté lui cloue le bec. En un instant infinitésimal, dit joliment Vladimir Jankélévitch, « l’oiseau Volonté a pris son vol devant les docteurs ébahis ».