Arrêtez la bombe !
Arrêtez la bombe !
Un ancien ministre de la Défense, un général d’armée aérienne, un expert en parlementarisme, voici un trio de choc. Il le fallait pour mettre les pieds dans le plat avec quelque chance d’être entendu. C’est qu’il s’agit de rien moins que la mise en cause d’un catéchisme imposé autour de Sa Sainteté la Bombe. Soyons, comme les auteurs, sérieux. Ils partagent leur propos en un plan rigoureux : état des lieux, ce qu’on dit de la bombe, comment s’en passer, que doit faire la France.
De la première partie, on retiendra, bien sûr, le bouleversement de la donne stratégique mondiale depuis la fin de la guerre froide, les doctrines bizarres qu’on avait élaborées autour de l’arme d’épouvante et les efforts pathétiques que fait la France pour la justifier encore, les coûts, généralement minimisés, de l’appareil nucléaire. La deuxième partie est, à nos yeux, la plus importante. Comment, en effet, parle-t-on chez nous de la bombe ? Fort peu, ce qui peut se comprendre ; fort mal, ce qui est impardonnable. Au prix de cette menterie se maintient un consensus dont on nous rebat les oreilles. Il n’est obtenu que par de fallacieux arguments, dont le non-emploi est le plus bête, le statut de la puissance détentrice le plus scandaleux, la lutte contre la prolifération le moins assuré. Pourtant, ça marche. C’est que nous sommes ici dans un domaine quasi religieux où militaires, industriels, partis et médias parlent d’une seule voix. Les experts sont les plus engagés et Bruno Tertrais, qui s’est fait là un fond de commerce, est le pape de cette nouvelle Église.
On attend les auteurs sur les deux dernières parties, peut-on s’en passer ? Et, dans cette perspective, que devrait faire la France ? Les difficultés sont patentes. Elles sont techniques : sort des matières fissiles (réponse en forme de chanson, Ah ! Y fallait pas, y fallait pas qu’il y aille…). Psychologiques : changer les mentalités. Politiques et c’est là que notre trio est en défaut, prônant un gouvernement mondial ; horreur qui n’est pas éloignée de l’horreur nucléaire. Quant à la France, elle a déjà beaucoup fait pour réduire sa posture. Il lui reste à ouvrir le débat, que ce livre amorce.
Étant disposé à suivre les auteurs dans leur croisade, on leur signalera deux lacunes. La première est militaro-centrée. La suppression de notre arsenal nucléaire entraînera, à terme certes, des économies. Il importe que celles-ci ne soient pas reportées, comme Michel Rocard l’avait un temps proposé, sur écoles ou hôpitaux. Il y a assez de besoins militaires actuellement non satisfaits pour que nos armées trouvent là les ressources qui leur manquent cruellement – la Marine en premier, qui perdrait dans l’affaire ses « prestigieux » sous-marins. La seconde lacune est humaniste. Un argument de poids manque en effet dans l’argumentaire. Jamais aucun président de notre République, et c’est à son honneur, n’appuiera sur le bouton. Il faut toujours un bourreau.