Ramsès 2014 - Les jeunes : vers l’explosion ?
Ramsès 2014 - Les jeunes : vers l’explosion ?
Pour la 32e édition de son Ramses, l’Institut français des relations internationales (Ifri) a décidé de regarder « les jeunes ». Il faut se méfier des thèmes accrocheurs. On le savait pourtant : comme la solitude pour Gilbert Bécaud, la jeunesse, ça n’existe pas. Heureusement. Yahvé, par la bouche d’Isaïe (3, 4), nous a menacés : « Je leur donnerai comme princes des adolescents, et des gamins feront la loi chez eux ». L’Ecclésiaste en rajoute (10, 16) : « Malheur à toi, pays dont le roi est un enfant ».
Aussi bien Thierry de Montbrial se garde-t-il d’en parler. Les Perspectives qu’il dessine sont directes et sérieuses. Contrairement à l’opinion courante, il affirme que la « mondialisation naïve » a atteint ses limites ; que les entreprises qu’on dit multinationales ont une nationalité et que leur volume est encore le critère de la puissance des États ; que néanmoins une grande partie de notre monde reste « préwestphalien », ce que l’Europe ignore prétendant se mêler des affaires des autres. Sous cet éclairage général, Montbrial oriente nos inquiétudes : sur la Palestine, guerre de 100 ans dont nul n’ose plus nommer l’origine ; sur la Turquie où l’ordre moral qu’Erdogan instaure n’est pas soluble dans une Europe pour laquelle la morale est obscénité ; sur le nucléaire « militaire » aussi, en Iran et Corée du Nord, et nous y reviendrons. La vraie menace est pourtant ailleurs, sur laquelle le directeur de l’Ifri, comme l’an passé, conclut : l’irrésistible révolution numérique triomphe des choses.
La parole passe ensuite à l’équipe. Si la première partie prend la jeunesse pour objet, Dominique David l’ouvre par un déni qui rejoint le nôtre, la « culture jeune universelle » est un leurre. La jeunesse revendique ? L’expression lui suffit, quelque débile qu’en soit le fond. Les TIC (Technologies de l’information et de la communication), voilà son truc. L’ado américain moyen envoie en moyenne 100 textos par jour : effrayant ! Plus effrayant encore, il voit son bidule à causer comme bien de première nécessité et outil de sociabilité (Cécile Maisonneuve).
Au chapitre de l’économie – laissant ici les jeunes en plan – le rapport s’en tient à la vulgate : hors croissance, point de salut. Qui n’est pas du sérail économiste sent pourtant que le vrai problème est autre : comment vivre sans croissance ? On ne manquera pas ici l’analyse subtile que fait Philippe Moreau Defarges, grand démolisseur socratique du concept nouveau de pays émergent. Mais venons au Mali. On en parle fort bien. D’abord à partir de l’Europe, dont Jolyon Howorth regrette qu’elle n’ait pas été plus active. On lui répondra que cela valait mieux si l’on voulait réussir et que ce n’est pas la construction européenne qu’il fallait sauver mais le Mali. Alain Antil, en charge de l’Afrique, livre une excellente synthèse de la triste évolution du Sahel, dont le gouvernement malien d’avant-guerre porte la responsabilité.
Une partie, la quatrième, est consacrée aux Arabes. Mansouria Mokhefi les voit le dos au mur. Elle a raison, mais quel est ce mur qui explique le désarroi des jeunes ? Dans la révélation mohammédienne, bien sûr, ce qu’on ne saurait dire. Les réseaux « sociaux », très actifs là-bas, justifient-ils l’espoir ? Las ! Yves Gonzalez-Quijano n’y croit guère, encore que le contenu frivole des échanges qu’on y entend puisse venir à bout du « traditionnel ».
C’est aux chapitres Asie et Amérique que l’on trouve évoqués les problèmes militaires. En Asie, le jeu nucléaire relancé par le « jeune » Kim Jong-un repose sur nos propres errements. Le mythe occidental qui fait de la Bombe un instrument de prestige est parfaitement intégré : en 2012, le statut « d’État doté » est inscrit dans la constitution de la Corée du Nord. Les États-Unis font preuve, sur le sujet, d’une discrétion que la France devrait imiter. Obama a d’autres soucis. Instruit d’expérience, il fait fond sur la triade Forces spéciales, drones, cyberguerre. Nouveau problème, observe Corentin Brustlein : celui de la légitimité de l’action.
Tout cela est fort riche et prête à discussion. Ce qui n’y prête pas se trouve dans la partie Repères. Chronologie, cartes, statistiques, font du rapport un instrument indispensable au chercheur comme à l’amateur.