La prison nomade
La prison nomade
Réédition d’un roman paru en 1990 chez François Bourin et primé alors, cette nouvelle prison nomade arrive à point nommé pour nous initier au sens le plus fort du terme à la civilisation nomade de ces Maures qui vivent à l’Ouest du Sahel entre le Nord du Sénégal et le Sud de l’Ifni.
Ce plaisant roman décrit l’itinérance forcée de Joachim Le Goff, natif du Bono, gabier à bord de la Sainte-Anne, trois-mâts barque échoué sur les côtes mauritaniennes vers 1855, tel La Méduse sur le banc d’Arguin, quarante ans plus tôt. Et voilà notre gabier pied à terre ou plutôt bientôt monté sur un chameau. Car ceux qui l’ont recueilli en font immédiatement un esclave et très vite un chamelier. Dans la longue errance pastorale de ses maîtres successifs, on le verra sillonner le pays maure au rythme lent des saisons et des pacages des troupeaux vers le Sud puis l’Est pour finir au Nord aux confins marocains où il sera racheté par un consul français habilité à ces tâches.
En deux parties et vingt-trois chapitres, c’est à un plaisant parcours anthropologique que nous convie l’auteur déployant un incontestable talent de narrateur, posant un regard curieux de naturaliste sur des peuplades aux dures conditions de vie mais à l’organisation sociale et économique très élaborée, et ajoutant cette malice distanciée qui est aussi la marque d’un auteur prolifique et éclectique. Vous n’ignorerez plus rien du chameau en quittant, avec regret, ce récit initiatique et vous devinerez qu’il a entretenu avec cette noble race des connivences qui l’ont marquées. Vous croiserez de plaisants personnages, hommes et femmes, noirs et blancs, pasteurs et agriculteurs, la plupart mahométans parfois belliqueux toujours philosophes. Un personnage latéral vous enchantera, un marin roux et flamboyant qui se laissera séduire par cette civilisation nomade qu’il finira par choisir pour la liberté qu’elle procure et la mystique qu’elle entretient. On imaginera aisément que l’auteur y a mis un peu de lui-même.
Au moment où la question de la sécurisation du Sahara-Sahel et de ses multiples occupants, maures, arabes, berabiches, touaregs nous préoccupe, ce roman fournit d’utiles clés de compréhension de ce monde en mouvement qui sillonne un vaste espace composite, en quête de pacages fertiles comme le pêcheur l’est de bancs poissonneux et on comprendra que le marin breton ait pu ainsi se transformer en chamelier maure dans ce monde de sable si proche du monde maritime. On imaginera également des leçons tactiques utiles pour permettre à ces espaces aujourd’hui accaparés par des capitales lointaines de procurer la sécurité et le développement aux nomades qui le peuplent.