Le Maghreb et son Sud : vers des liens renouvelés
Le Maghreb et son Sud : vers des liens renouvelés
Cet ouvrage collectif est dirigé par deux têtes de l’Ifri : Mansouria Mokhefi et Alain Antil. Paru juste avant l’opération Serval, le livre brosse le vaste paysage où celle-ci s’est inscrite. Le titre ne doit pas faire illusion, entre le Nord et le Sud du Sahara, les liens ne se sont pas « renouvelés ». Antil le reconnaît en son introduction, l’africanité du Maghreb n’est qu’un thème d’incantation pour chefs d’État en peine d’inspiration. Le désert saharien est plus obstacle que trait d’union.
On passe ici en revue les pays du Maghreb, eux-mêmes fort divers. L’Algérie, Mecque ancienne des révolutionnaires du monde, est devenue le bastion de l’anti-islamisme. La lutte vigoureuse qu’elle a menée contre ses propres trublions a contraint ceux-ci à aller perpétrer ailleurs leurs crimes, essentiellement à partir du Sahel méridional. L’Algérie ne s’en mêle plus guère, se contentant de fermer ses frontières et se montrant intraitable avec les preneurs d’otage. L’ordre règne à Alger mais dans l’isolement. Les printemps arabes n’y ont point fleuri, le commerce va vers le Nord et les étudiants du Sud vont chercher ailleurs le savoir. Au Maroc, par exemple.
Champion incontestable de l’accueil des étudiants, le Maroc se fait l’auxiliaire de la culture française. Sa diplomatie est fortement marquée par l’obsession saharienne, comprenez celle du Sahara ex-espagnol. C’est elle qui l’a amené à se retirer de l’Union africaine, elle aussi qui règle les rapports qu’elle entretient avec les autres États du continent. Cette politique a porté ses fruits : 35 pays africains ont abandonné leur soutien à la « République arabe sahraouie démocratique ». Longtemps actif dans le cadre onusien (du Shaba à l’Angola et jusqu’en Côte d’Ivoire), le Maroc bénéficie, au Sud du Sahara, de l’influence religieuse, non point du roi chérif, mais de la confrérie tidjaniya, qui reste puissante en Afrique occidentale.
La situation libyenne est analysée avec finesse. On ne méconnaît pas les mérites du « système Livre Vert », qui a permis à Kadhafi de tenir en main un pays impossible. On le voit aujourd’hui où tout oppose les deux entités, Cyrénaïque et Tripolitaine, cependant que le Fezzan est devenu une redoutable zone grise. L’embrouillamini touareg, fort bien détaillé, nous amène à la crise malienne. Et Kadhafi à l’Afrique du Sud, ce qui en étonnera plus d’un en ces temps de célébration du défunt Mandela. C’est que celui-ci était fidèle en amitié et se souvenait du soutien que, révolutionnaire lui-même, il avait trouvé auprès du colonel.
Reste les deux extrêmes, Tunisie et Mauritanie. L’africanité de la Tunisie est, de toutes, la moins perceptible. Plus ottomane que maghrébine, cela se sent encore, en particulier sous la forme d’un racisme assumé dont les Noirs font les frais. Par discrétion sans doute, Alain Antil, qui en est un grand spécialiste, parle peu de la Mauritanie. Elle constitue pourtant le seul exemple d’une cohabitation harmonieuse du Nord et du Sud. Nouakchott est un melting-pot.
Si l’analyse diplomatique remet à sa juste place – mineure – les rapports entre les rives du désert, l’étude des échanges humains et commerciaux, objet de la seconde partie, augmente la désillusion. Si l’on migre du Sud vers le Maghreb, ce n’est pas pour s’y établir, mais pour gagner l’Europe, fût-ce à grand risque. Les immigrés au Maghreb restent, fort majoritairement… européens. Seul le Maroc, une fois encore exemplaire, retient quelques Africains, qui se rappellent à notre bon souvenir dans les centres de publicité téléphonique. Quant aux échanges économiques transsahariens, ils sont infimes, comparés au flux méditerranéen. L’Algérie confirme ici son superbe isolement : s’y est développée une économie souterraine qui échappe au contrôle étatique. L’État enrage ; ce qu’il tient pour fléau permet aux gens de subsister. Allons ! Cette étude est fort riche. Menée par une brochette d’anthropo-ethno-sociologues, elle foisonne. Vous en tirerez profit.